Épilogue

Henry se demanda pourquoi il se sentait si triste.

Il n’y avait pas de quoi. Il avait eu une excellente idée. Son plan avait fonctionné à merveille. Grâce à lui, Holly Bleu, sa chère Holly Bleu, était devenue la Reine des Fées. Étant donné sa position, ses titres, ses obligations, bref, vu son nouveau statut, son amie n’aurait plus le temps de le voir. Évidemment. Quelle importance ? L’essentiel, c’était :

* qu’elle avait été sacrée impératrice ;

* qu’elle serait sans aucun doute une excellente guide pour les Fées ;

* qu’elle avait pardonné à Pyrgus dès sa première proclamation, de sorte que Noctifer ne pouvait pas la faire chanter en menaçant de révéler le crime du Prince ;

* que tout était pour le mieux dans le meilleur des mondes, et que tout le monde était content.

C’était ça, l’essentiel. Pas autre chose.

Personne n’en avait rien – mais alors là, rien de rien – à fiche que Bleu n’eût plus une seconde à consacrer à Henry. C’était normal. Objectivement, qui était Henry ? Un simple humain. Pas un héros. Pas un sorcier. Pas même une simple fée. Il n’avait pas le moindre intérêt. Il avait joué son rôle, point à la ligne.

Et c’était très bien comme ça. Vraiment. Henry n’avait aucun reproche à adresser à Bleu. Il n’y pensait même pas, d’ailleurs. Ils ne sortaient pas ensemble, avant. Ils s’étaient embrassés ? Oui, et alors ? Bleu restait juste une amie. Donc il devait se féliciter de son succès.

Pourtant, il n’était pas enchanté.

Il était le contraire de réjoui. Triste, voilà : il était triste. Sans doute l’approche du départ. Il allait rentrer chez lui avec des mains multicolores, même si cela se voyait un peu moins, maintenant. Il allait devoir s’occuper de la maison de M. Fogarty. Et affronter de nouveau Alicia. Ça, c’était déprimant. N’importe qui s’apprêtant à affronter Alicia aurait été fatigué à l’avance. Et triste.

Voilà pourquoi il se sentait mal. À cause d’Alicia. Rien à voir avec Holly Bleu. Rien de rien.

Puisque tout le monde était content…

Henry ferma la porte de ses appartements. Essuya une larme qui était venue couler sur sa joue. Ôta aussitôt ses saletés de hauts-de-chausse dorés. Se sentit tout de suite soulagé – à un point incroyable. Se dirigea vers sa garde-robe pour y choisir le pantalon le plus confortable qu’il pourrait trouver.

C’est alors qu’il la vit.

Elle était sur sa table de chevet. Une rose, avec d’étranges gouttes sur ses pétales (alors qu’il faisait chaud, dans sa chambre). À côté de la fleur, un petit flacon abritait un liquide couleur ambre.

Henry le déboucha et le porta à son nez. Peut-être un parfum. Mais discret, alors, car l’odeur, certes agréable, n’était pas très prononcée. Avec précaution, il fit tomber une goutte sur le bout de sa langue.

Et il eut aussitôt l’impression que son corps vibrait, secoué par une explosion silencieuse. Sa tristesse s’évapora comme rosée au soleil. Il était extatique. Sa chambre, le palais, le monde s’étaient dissous, remplacés par les palpitations exaltantes d’une pure lumière blanche. Il était l’absolu et l’infini, le zénith et l’éternité…

Son bonheur intense dura l’éternité, et cessa une seconde plus tard.

Ses mains tremblaient toujours quand il reboucha le flacon.

En observant la petite bouteille, il s’aperçut qu’il y avait une inscription discrète, gravée sur le verre :

 

Essence d’amour

 

Il se demanda qui pouvait bien lui avoir envoyé l’élixir.

L'Empereur pourpre
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