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Le transporteur était un grand radeau de bois qui flottait à un mètre au-dessus de la route. Il gîta légèrement lorsque Pyrgus marcha dessus. Un garde en uniforme vert tenait la seule manette de contrôle. Les passagers, essentiellement des soldats, étaient serrés les uns contre les autres.
— En avant ! cria le chauffeur.
L’instant d’après, Pyrgus se sentit projeté en arrière. L’appareil venait de passer à la vitesse très supérieure. Le Prince remarqua que les autres voyageurs s’étaient tous penchés pour éviter de subir le contrecoup de l’accélération. Il trouva son équilibre, même si, dans sa tête, les idées se mêlaient dans une grande confusion.
Il s’était passé tant d’événements en si peu de temps. Le coup de force de Noctifer. L’apparition de son père. Sa propre destitution. L’ordonnance. L’auto-proclamation de Comma. Son exil, aux côtés de Bleu et du Gardien-qui-n’était-plus-Gardien. L’attaque de l’ouklo impérial. Qui avait été commanditée par les Fées de la Forêt et non par Noctifer. Ce qui pouvait se révéler être une bonne nouvelle. À moins que… Non, au fond, il n’en savait rien. Et il ignorait aussi ce que venait faire Mme Cardui dans cette histoire.
Quelqu’un tapa sur l’épaule du Prince. C’était la fille qui l’avait assommé sur le capot de l’ouklo.
Elle était toujours aussi splendide.
— Je voulais m’excuser pour tout à l’heure, dit-elle. Je ne savais pas que tu étais Prince.
— P… pas… pas grave, parvint à grommeler Pyrgus.
— J’espère. Mais quand tu m’as attaquée avec une dague, j’étais obligée de réagir.
— Hon, hon…
— Bon, ben voilà ce que j’avais à dire, conclut la fille en se détournant.
— ATTENDS ! cria le Prince trop fort. C… comment tu t’appelles ?
— Nymphalis Antiopa. Alias Nymphe pour les intimes.
— Euh… Moi, c’est Pyrgus.
Il était fasciné par Nymphalis. L’uniforme vert lui allait bien. Il ne lui donnait pas le moins du monde une apparence masculine. D’ailleurs, rien n’aurait pu la rendre masculine. Non. La tenue lui donnait plutôt un côté… élégant. Mais Nymphalis était si belle que, même revêtue d’un sac, elle aurait paru élégante.
Il eut soudain envie de parler pour la retenir :
— Les coups de genou et de matraque… je comprends… à la guerre comme à la guerre, hein…
Elle lui sourit. Il se demanda si elle était soldate de métier. Et si elle avait un petit copain.
— Tu as un petit cop…, commença-t-il. Je veux dire, pourquoi vous avez attaqué l’ouklo ? Vous avez plutôt l’air de gens normaux, par rapport à ce qu’on raconte…
Elle fronça les sourcils :
— Tu ne crois quand même pas ces vieilles rumeurs selon lesquelles nous autres, Fées de la Forêt, ne sommes qu’un ramassis de brigands !
— Non, bien sûr, je n’ai jamais cru ces racontars ! prétendit Pyrgus. Mais pourquoi nous avoir attaqués ?
— Parce que…
Le transporteur vibra puis s’arrêta. Nymphalis eut une moue amusée :
— Ah, désolée, on est arrivés !
Et elle sauta hors du véhicule.