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Wainscot, le Maître-des-masques, soupira :
— Monsieur Blafardos, s’il vous plaît… Pourriez-vous vous concentrer ?
— Mais je me concentre ! glapit l’intéressé. Et je m’améliore, vous ne trouvez pas ?
Le Maître et l’élève étaient seuls dans le grand Gymnase d’exercice de l’Académie Noctifer d’Assassins. Sols en chêne poli ; murs couverts de miroirs reflétant les silhouettes de Blafardos et de son professeur à l’infini : un décor de luxe !
Wainscot, lui, avait les cheveux foncés et une haute silhouette musculeuse. Sur son visage, une impassibilité très professionnelle.
— Je note de légers progrès, oui, déclara-t-il.
— Ah !
— Hélas, on reste très loin du compte.
— Oh, pas si loin que ça…
— Je vous assure. Si vous deviez partir en mission demain, vous échoueriez lamentablement. Vous devinez les conséquences ?
Blafardos baissa la tête. Oui, il les devinait. Pas difficile : la mort. Dans d’atroces souffrances, si Black Noctifer avait du temps à lui consacrer. Et le Maître-des-masques aussi. Car il faisait partie des quatre personnes au courant de cette mission. À part lui, les trois initiés étaient Blafardos, Lord Noctifer évidemment, et le sorcier retenu pour lancer le sortilège de transformation – un nain formé par les Haleks, et qui s’appelait Pouderoff, Ploumdouff, ou Psodos… enfin, un truc dans le genre. Tous les autres croyaient que Lord Noctifer honorerait de sa présence la scène du Couronnement. Pas un indice ne laisserait présager la supercherie.
Sauf si Jasper Blafardos continuait de se comporter comme un incapable. Ce qui lui vaudrait de longues séances de torture.
Avec Noctifer, le moindre prétexte suffisait pour déclencher de redoutables punitions.
— Voyons, lança Blafardos avec pétulance, pourquoi nous fatiguer ? Le sortilège d’illusion me donnera l’apparence exacte de Sa Seigneurie.
— Oui, vous avez raison, reconnut Wainscot. Mais il ne vous donnera pas sa démarche, ses attitudes. Et c’est cela que nous devons travailler, surtout qu’avec votre corpulence…
— Ma corpulence ? Elle vous déplaît, peut-être, ma corpulence ?
Il était un peu enveloppé, certes. Peut-être assez pour être taxé de personne « plutôt forte ». De là à parler de sa corpulence avec un tel aplomb dédaigneux !
— Elle est plus importante que celle de Lord Hairstreak, répondit le Maître-des-masques, diplomate. Par conséquent, votre manière de bouger n’est pas la même que Lord Noctifer. Il nous faut pallier ce problème. Moi-même, je suis plus grand que Noctifer ; et cependant, regardez…
Blafardos regarda. Et ses cheveux se dressèrent. Wainscot s’était mis à déambuler, et, d’un coup, il avait paru rétrécir. Plus encore, il avait adopté sur-le-champ une caractéristique de Noctifer : son épaule droite était légèrement affaissée. Son visage s’était creusé. Ses traits avaient changé pour ressembler inexplicablement à ceux de Black. Pourtant, le plus remarquable restait sa démarche. « Un insecte arrogant », pensa Blafardos. Ce qu’il pensait de Noctifer. Même sans sortilège, on aurait pu prendre le Maître-des-masques pour le chef des Fées de la Nuit.
Hélas, le Maître n’était pas un assassin.
Blafardos réessaya. Oh, comme il essaya ! Il essaya d’abaisser son épaule droite. De rentrer son gros ventre. De se déplacer comme un insecte arrogant. De s’observer dans les miroirs et d’en tirer des leçons. De se prendre pour un acteur jouant Lord Noctifer sur une scène de théâtre. Bref, il marcha, marcha, essaya, essaya, s’acharna tant et tant que, à la fin, l’évidence s’imposa.
— Ça ne sert à rien, lâcha le Maître-des-masques. Il va falloir passer au ver…