37

Le carnet de M. Fogarty était fascinant. Henry y avait découvert des tas de notices techniques – y compris un projet de « Machine à exaucer les vœux » – couchées sur le papier de la petite écriture sage du vieil homme. Nombre d’entre elles étaient inachevées. Certaines étaient juste destinées à construire des morceaux de machines ou des circuits intégrés ; d’autres (pas mal d’autres, pour tout dire) n’avaient carrément aucun sens aux yeux du garçon, même s’il avait du mal à se l’avouer. Car s’il ne parvenait pas à décrypter les plans du vieil homme, il était mal. Et s’il ne mettait pas la main sur ceux qui l’intéressaient, il était fichu.

Mais il les trouva, griffonnés vers le premier tiers du carnet.

Le schéma n’était pas intitulé « portail temporel ». Juste : « Perturbateur de réalité psychotronique ». M. Fogarty avait rayé le mot « perturbateur » et l’avait remplacé par « Lisseur ». Cependant, c’est « psychotronique » qui mit la puce à l’oreille de Henry. Il se souvenait que M. Fogarty avait parlé d’interrupteur psychotronique qui fonctionnait à l’électricité. Le dessin ne mentionnait pas d’électricité. Tant pis, le « psychotronique » restait prometteur.

Et le schéma aussi.

L’extérieur du Lisseur de réalité psychotronique ressemblait furieusement au portail portatif dont Henry s’était servi pour se translater au Royaume des Fées. L’intérieur… Le garçon n’y comprenait rien. Le schéma prévoyait l’emplacement pour une pile – une de ces batteries à très longue espérance de vie, donc hors de prix, qu’on utilisait pour certaines montres digitales.

À partir de là, les indications étaient trop complexes pour Henry. Ce n’était pas un problème. Il n’avait pas besoin de comprendre pourquoi tel fil allait à tel endroit. Il n’avait qu’à saisir comment fabriquer cet engin. S’il parvenait à suivre à la lettre les instructions de M. Fogarty, il n’aurait plus qu’à presser l’interrupteur, et le portail s’ouvrirait.

S’il réussissait à construire cet engin.

Ça, par contre, c’était un sacré problème. Car Henry n’avait jamais fabriqué de circuit électronique jusqu’à ce jour. Il avait quelques notions. Au collège, il avait travaillé sur des diagrammes techniques et utilisé des composants spécialisés. Il avait même dû aller en sélectionner sur place – bon, d’accord, en voler – pour aider Pyrgus à rentrer chez lui. Mais assembler des composants électroniques entre eux, ça, non, il n’avait jamais essayé. Par contre, il avait construit des maquettes. Le Taj Mahal, par exemple. Ou un cochon qui vole grâce à un mécanisme très délicat à monter. Un circuit électronique ne présenterait sûrement pas de difficultés particulières !

Henry se mit au travail, rassuré de constater que, en définitive, l’opération était assez simple, même si elle se révélait plus longue qu’il ne l’avait imaginée. Par chance, M. Fogarty avait la bonne habitude de schématiser la moindre opération. Donc, même quand Henry ne savait pas à quoi correspondaient des expressions comme « insertion de la porte de transformation », il regardait le schéma qui s’y rapportait et n’avait plus qu’à chercher le composant qui ressemblait au dessin.

La plupart des éléments et des outils nécessaires étaient stockés dans le grand tiroir de la cuisine ; ceux qui manquaient étaient rangés dans la cabane du jardin. Henry reconnut des accessoires que Pyrgus et lui avaient « empruntés ». Il espéra qu’ils auraient le temps de les remettre avant la rentrée de septembre.

Mais, soudain, il s’aperçut qu’il manquait quelque chose.

Il eut beau farfouiller à droite à gauche, dessus dessous, il ne trouva pas ce que le carnet appelait un « biofiltre » – en apparence un fin disque de petite taille, fait de deux couches de métal qui en encadraient une troisième grâce à un fil minuscule. Henry s’acharna dans sa quête, lança une deuxième fouille de la maison… En vain. Rien. Quoi que fût un biofiltre, M. Fogarty n’en avait pas.

Henry feuilleta le carnet. Y avait-il des instructions pour en fabriquer un ? Non.

Alors, il essaya d’imaginer la fonction du biotruc. A priori, aucune. Il n’était même pas relié directement au reste du circuit. (Comme beaucoup d’autres schémas. Henry avait avisé dans le carnet un croquis aux allures de circuit, qui, en réalité, n’était pas un circuit. M. Fogarty l’avait appelé : « Passage psychotronique », et avait précisé en marge : « Mettre le côté supérieur en contact avec le transistor 8. » Pas très, très clair.)

Henry décida de laisser tomber le biodisque, conscient qu’il commettait peut-être une grave erreur. Mais il n’avait pas d’autre option !

Une fois tous les composants réunis (moins le biomachin, donc), il entreprit de les souder avec un chalumeau spécial qu’il avait déniché dans le grand tiroir. Une tâche minutieuse, éprouvante, qui exigeait une concentration de chaque instant et rappelait au garçon ses heures de modélisme.

Lorsqu’il releva la tête, la nuit était complète. Il avait une faim de loup. Il reposa son chalumeau. Il n’en était qu’à la moitié ; et encore, quand il observa son œuvre, il constata qu’elle était loin d’être aussi esthétique que les bricolages de M. Fogarty. Pas mal quand même, pour un premier essai.

Le garçon alla chercher de quoi se restaurer. Rien dans le frigo – il s’y attendait – à part l’habituelle bouteille de lait caillé. Par contre, une tarte surgelée l’attendait au congélateur. « Réchauffez-moi au micro-ondes, même surgelée ! » suppliait-elle dans une bulle, sur l’emballage.

— D’accord, lui répondit Henry.

Et il l’emporta vers le micro-ondes, qui était encore emballé. Quelqu’un avait offert l’appareil à M. Fogarty, qui l’avait poliment placé dans sa cuisine sans jamais l’utiliser, de peur de périr d’un cancer lié aux radiations qu’était censé dégager l’engin – c’était pour cette même raison que le Gardien fuyait les téléphones portables.

Henry brancha l’appareil, mit son plat à réchauffer et alluma la cuisinière pour cuire des haricots en boîte (M. Fogarty en avait toujours plein). Une dizaine de minutes plus tard, il était devant un bon gros repas comme il les aimait. Et il se sentait libre. Libre de mettre les pieds sur la table s’il en avait envie. Libre de manger sans subir le bavardage incessant et sans intérêt de sa sœur. De ne pas être pressé de questions par sa mère. De se coucher à l’heure qu’il voulait. De ne pas rentrer à la maison de sitôt. Libre, quoi.

Et c’était délicieux.

L'Empereur pourpre
titlepage.xhtml
book_0000.xhtml
book_0001.xhtml
book_0002.xhtml
book_0003.xhtml
book_0004.xhtml
book_0005.xhtml
book_0006.xhtml
book_0007.xhtml
book_0008.xhtml
book_0009.xhtml
book_0010.xhtml
book_0011.xhtml
book_0012.xhtml
book_0013.xhtml
book_0014.xhtml
book_0015.xhtml
book_0016.xhtml
book_0017.xhtml
book_0018.xhtml
book_0019.xhtml
book_0020.xhtml
book_0021.xhtml
book_0022.xhtml
book_0023.xhtml
book_0024.xhtml
book_0025.xhtml
book_0026.xhtml
book_0027.xhtml
book_0028.xhtml
book_0029.xhtml
book_0030.xhtml
book_0031.xhtml
book_0032.xhtml
book_0033.xhtml
book_0034.xhtml
book_0035.xhtml
book_0036.xhtml
book_0037.xhtml
book_0038.xhtml
book_0039.xhtml
book_0040.xhtml
book_0041.xhtml
book_0042.xhtml
book_0043.xhtml
book_0044.xhtml
book_0045.xhtml
book_0046.xhtml
book_0047.xhtml
book_0048.xhtml
book_0049.xhtml
book_0050.xhtml
book_0051.xhtml
book_0052.xhtml
book_0053.xhtml
book_0054.xhtml
book_0055.xhtml
book_0056.xhtml
book_0057.xhtml
book_0058.xhtml
book_0059.xhtml
book_0060.xhtml
book_0061.xhtml
book_0062.xhtml
book_0063.xhtml
book_0064.xhtml
book_0065.xhtml
book_0066.xhtml
book_0067.xhtml
book_0068.xhtml
book_0069.xhtml
book_0070.xhtml
book_0071.xhtml
book_0072.xhtml
book_0073.xhtml
book_0074.xhtml
book_0075.xhtml
book_0076.xhtml
book_0077.xhtml
book_0078.xhtml
book_0079.xhtml
book_0080.xhtml
book_0081.xhtml
book_0082.xhtml
book_0083.xhtml
book_0084.xhtml
book_0085.xhtml
book_0086.xhtml
book_0087.xhtml
book_0088.xhtml
book_0089.xhtml
book_0090.xhtml
book_0091.xhtml
book_0092.xhtml
book_0093.xhtml
book_0094.xhtml
book_0095.xhtml
book_0096.xhtml
book_0097.xhtml
book_0098.xhtml
book_0099.xhtml
book_0100.xhtml
book_0101.xhtml
book_0102.xhtml
book_0103.xhtml
book_0104.xhtml
book_0105.xhtml
book_0106.xhtml
book_0107.xhtml
book_0108.xhtml
book_0109.xhtml
book_0110.xhtml
book_0111.xhtml
book_0112.xhtml
book_0113.xhtml
book_0114.xhtml
book_0115.xhtml
book_0116.xhtml
book_0117.xhtml
book_0118.xhtml
book_0119.xhtml
book_0120.xhtml
book_0121.xhtml
book_0122.xhtml
book_0123.xhtml
book_0124.xhtml
book_0125.xhtml
book_0126.xhtml
book_0127.xhtml
book_0128.xhtml
book_0129.xhtml
book_0130.xhtml
book_0131.xhtml
book_0132.xhtml
book_0133.xhtml
book_0134.xhtml
book_0135.xhtml
book_0136.xhtml
book_0137.xhtml
book_0138.xhtml
book_0139.xhtml
book_0140.xhtml
book_0141.xhtml
book_0142.xhtml
book_0143.xhtml
book_0144.xhtml
book_0145.xhtml
book_0146.xhtml
book_0147.xhtml
book_0148.xhtml
book_0149.xhtml
book_0150.xhtml
book_0151.xhtml
book_0152.xhtml
book_0153.xhtml
book_0154.xhtml
book_0155.xhtml
book_0156.xhtml
book_0157.xhtml
book_0158.xhtml
book_0159.xhtml
book_0160.xhtml
book_0161.xhtml
book_0162.xhtml
book_0163.xhtml
book_0164.xhtml
book_0165.xhtml
book_0166.xhtml
book_0167.xhtml
book_0168.xhtml
book_0169.xhtml
book_0170.xhtml
book_0171.xhtml
book_0172.xhtml
book_0173.xhtml
book_0174.xhtml
book_0175.xhtml
book_0176.xhtml
book_0177.xhtml
book_0178.xhtml
book_0179.xhtml
book_0180.xhtml
book_0181.xhtml
book_0182.xhtml
book_0183.xhtml
book_0184.xhtml
book_0185.xhtml
book_0186.xhtml
book_0187.xhtml
book_0188.xhtml
book_0189.xhtml
book_0190.xhtml
book_0191.xhtml
book_0192.xhtml
book_0193.xhtml
book_0194.xhtml
book_0195.xhtml
book_0196.xhtml
book_0197.xhtml
book_0198.xhtml
book_0199.xhtml
book_0200.xhtml
book_0201.xhtml
book_0202.xhtml
book_0203.xhtml
book_0204.xhtml
book_0205.xhtml
book_0206.xhtml
book_0207.xhtml
book_0208.xhtml
book_0209.xhtml
book_0210.xhtml
book_0211.xhtml