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Chaque cellule d’Asloght mesurait en moyenne quatre pieds cubes. Une rigole pour évacuer l’eau courait le long des murs de pierre. Pour tout ameublement, on trouvait quelques brins de paille dans un coin, et un seau. Pas de rideaux – car il n’y avait pas de fenêtres. On fournissait aux prisonniers une petite bougie par semaine.
Cependant, la cellule de Jasper Blafardos était plus luxueuse. Cela lui avait coûté une petite fortune en pots-de-vin, mais il disposait ainsi de plus d’espace, d’une moquette rose au sol, d’un vrai lit, de globes lumineux au plafond, d’un fauteuil de repos, d’une chaise pour manger, d’une bibliothèque, d’une table et d’un mini-réfrigérateur plein d’en-cas et de boissons. Blafardos était sans doute le mieux logé d’Asloght, personnel compris.
Ce qui ne l’empêchait pas de se lamenter auprès du vieux qu’il avait payé des millions pour qu’il acceptât d’être son valet :
— Mes chers sortilèges me manquent tant… La magie est totalement interdite ici, savez-vous ?
C’était un chouia exagéré. Chaque semaine, un sortilège d’absorption se chargeait d’éliminer l’humidité. Reste que, sur le fond, Blafardos disait vrai : pas de débauche de magie dans le donjon.
Le vieux, un Trinian patient qui s’appelait Fouillichic, faisait un brin de ménage pendant que Blafardos se morfondait, prostré sur son lit.
— Une partie de belote, ça vous dirait ? proposa-t-il. On pourrait jouer pour des bonbons. Je suis prêt à n’importe quoi afin d’oublier ce terrible ennui(iv)…
Cabotin, il plaça une main sur son front pour en rajouter dans le côté dramatique, même s’il se doutait de la réponse avant d’avoir posé la question.
— Désolé, m’sieur, mais j’connais pas c’jeu-là, lança l’autre, jovial. En plus, m’sieur, sauf votre respect, m’sieur, jouer, c’est pas dans mon contrat. Je dois juste faire les quatre B : balayage, bouffe, baratin et ballot de linge. Les quatre B, m’sieur. Belote, ça f’rait cinq, m’sieur !
Sur ce, il entreprit d’installer les couverts pour le prochain repas de Blafardos. Celui-ci grogna :
— Et si je…
Il s’interrompit.
— Que se passe-t-il ? chuchota-t-il.
Le Trinian avait bondi vers la porte. Pressé contre le mur, il reniflait furieusement.
— Danger, m’sieur. Ça arrive à grands pas.
— Co… comment le savez-vous ? demanda Blafardos en s’asseyant sur le lit.
— J’le sens. On m’a appris.
Le prisonnier se mit debout. C’était un gros personnage, adepte des vêtements flamboyants. Ses possibilités avaient beau être plus limitées en prison, il dénicha une tunique verte et des mocassins sertis de bijoux.
— Vous allez me protéger ? demanda-t-il, curieux.
Puis il anticipa :
— Non, non, je sais : la baston n’est pas dans le contrat… Tant pis, un danger, je suis tout excité ! Enfin, il va y avoir de l’action !
— C’est une façon de dire les choses, m’sieur. Mais si vous n’avez plus besoin de moi, je préfère vous laisser en profiter seul.
— Allez donc, mon brave, allez donc. Merci.
Blafardos avait les yeux fixés sur la porte. Il s’humecta les lèvres. Peu importait ce qui l’attendait. Tout – ou presque – vaudrait mieux que la perpétuelle répétition qui caractérisait les journées en prison.
Le vieux Trinian trifouilla la serrure et ouvrit la porte. Une haute silhouette apparut. Et l’excitation de Blafardos disparut en un instant. La créature était vêtue d’une robe noire. Un capuchon couvrait son visage, dont on n’apercevait que deux yeux sombres qui scintillaient. Il portait la grande faux et le sablier de cérémonie en bois de chêne – les attributs du Bourreau d’État.
— Mon Dieu ! s’exclama Blafardos, soudain paniqué. On… on vous envoie me tuer !