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— Tu es complètement fou, Prince ! protesta Nymphalis. Tu te rends compte, si les gardes s’étaient retournés ? Ils t’auraient massacré !
— Ils ne l’ont pas fait, objecta Pyrgus d’une voix calme. Et nous n’avons pas de temps à perdre.
Les autres membres du commando l’avaient rejoint au sprint. Le Prince regarda Henry. Il semblait tenir le coup, bien qu’il eût frôlé la mort de très près. Les Maîtresses de la Soie étaient des guérisseuses hors pair !
Ils contournèrent le manoir ensemble, de manière à se placer le plus loin possible de l’aile des baraquements où les soldats de Noctifer s’étaient engouffrés. Ils atteignirent l’arrière de la demeure sans être inquiétés par une patrouille. Peut-être un coup de chance… ou peut-être un effet de logique : à cet endroit, le mur était si haut et si épais que le propriétaire avait sans doute estimé qu’une attaque à cet endroit était très improbable. Comme pour le Vieux Donjon. Mais, cette fois, Pyrgus allait en profiter.
— Qu’en pensez-vous ? demanda Pyrgus à Ziczac.
L’ingénieur sorcier avisa un gros bloc rocheux qui semblait sortir du mur.
— Intéressant, répondit le petit homme avec un sourire gourmand. Structure typique qui ne laisse guère de place au doute…
Savez-vous si Lord Noctifer a construit des caves ?
— Évidemment ! s’emporta Nymphalis. Des caves et des trous de l’Enfer. C’est pour cette raison que Sa Majesté nous envoie aider le Prince Pyrgus.
— Cependant, vous n’êtes pas certain qu’il les ait aménagés à partir d’une cavité naturelle ? insista le magicien d’un ton toujours égal.
— Non, dit Pyrgus.
— J’en ai pourtant la conviction, moi, affirma Ziczac.
— Et alors ?
— Alors vous pensez nous faire passer sous l’édifice, n’est-ce pas, monsieur Ziczac ? intervint Bleu.
— Bien deviné, Princesse. Telle est en effet mon intention. Les cavités naturelles de ce type sont en général très épaisses. Nous ne risquons pas de rester coincés.
— Vous en seriez capable ? s’enquit Pyrgus.
— Oh, oui. Oh, oui, oui, oui ! Je sens que cela va m’amuser. Nous allons devoir pénétrer selon un axe vertical (et non latéral, comme d’ordinaire), puis nous déplacer horizontalement. Ça exige de la dextérité… mais c’est dans mes cordes. Par contre, il va falloir que vous ne bougiez pas un petit cil, et que vous vous teniez tous par le bras.
— Donc nous ne pourrons pas utiliser nos armes si nous sommes attaqués ? conclut Nymphalis avec une pointe d’agressivité.
— Ce n’est pas grave, dans la mesure où l’objectif est de ne pas être attaqué.
La soldate grimaça :
— Qu’en pense le Prince Pyrgus ?
Le Prince Pyrgus n’en pensait rien. Il n’avait pas la moindre idée de ce dont parlait l’ingénieur. Il ne connaissait rien aux déplacements latéraux, verticaux ou horizontaux. À la rigueur, il reconnaissait qu’il s’en moquait. Chacun son objectif : pour lui, récupérer son père ; pour le sorcier, les amener à l’intérieur du château de Noctifer. De plus, Ziczac avait prouvé ses capacités en leur permettant de se glisser dans le Palais pourpre. Et lui-même n’avait pas d’autre stratégie à proposer. Par conséquent…
— J’approuve la proposition de Ziczac, déclara-t-il.
Nymphalis eut une mimique résignée.
Bleu se plaça près de Henry :
— Ça va, toi ?
— Super !
Le garçon tenait le coup. Il aurait néanmoins aimé comprendre ce qui se tramait. Qu’allait-il se passer dans une seconde ? Pourquoi devaient-ils se tenir par le bras ? Il garda ses questions pour lui, de peur de passer pour une poule mouillée. Ou pour un imbécile. Ou pour une poule mouillée doublée d’un imbécile.
Mais Bleu devina ses doutes.
— Ziczac va nous faire passer à travers les murs, expliqua-t-elle.
— Par magie ?
La Princesse acquiesça et le prit par le bras.
— Trop bien ! s’écria le garçon.
Ziczac vérifia si l’ensemble du commando se tenait comme convenu. L’instant d’après, tout devint noir.