76
— P… pardon ? bégaya Henry.
L’endolg était en train de grimper à un mur. Il s’immobilisa. On aurait dit une tapisserie vieillotte.
— Il y a une façon de sortir de ce cachot puant, reprit-il.
Henry comprit la plaisanterie :
— Oui ! J’aurais dû y penser avant ! Par la porte, bien sûr. Dommage qu’ils aient oublié de nous donner la clef.
— Ha-ha, très drôle, lâcha la créature en fermant les yeux. Mais ce n’est pas la peine de jouer au petit malin. Je pensais que tu posais une question sérieuse.
— Excuse-moi… Tu étais sérieux ?
L’endolg grogna. Henry décida qu’il avait acquiescé.
— Alors, comment ? s’écria-t-il.
— Non, non… Je n’en ai pas envie. Nous autres, endolgs, n’aimons pas trop qu’on se fiche de nous.
— Écoute, je me suis excusé. Je ne voulais pas te fâcher. Je suis désolé. Je te demande pardon.
— Trop facile…
— Essaie de comprendre : tu étais là avant moi. Je pensais que s’il avait existé un moyen de sortir d’ici, tu l’aurais utilisé. Je suis navré. Je me repens. Je regrette. Je…
Henry ouvrit la bouche. Et ne pipa mot : il avait épuisé tous les synonymes qui lui venaient à l’esprit.
— J’ai dit qu’il existait une façon de sortir d’ici, déclara enfin la créature.
— Oui…
— Pas que je pouvais sortir d’ici. Tu sens la nuance ? Cependant, je pense que, toi, tu es assez fort pour y arriver. Tu m’as l’air d’un garçon vigoureux. Ironique mais vigoureux.
Henry mobilisa ses super-pouvoirs de super-calme pour ne pas exploser de super-impatience.
— Alors, tu racontes ? supplia-t-il. S’il te plaît. Allez, quoi ! Tu m’as bien aidé, jusqu’à présent, en m’apprenant ce qui s’était passé en mon absence. Tu ne vas pas t’arrêter maintenant.
— Et pourquoi pas ?
— Parce que… parce que, si tu m’aides et que tu ne puisses pas me suivre, je te prendrai avec moi.
— Tu ferais ça ?
— Je te le promets.
L’endolg se plissa : il paraissait réfléchir.
Henry se sentit oppressé. Lorsqu’il était entré dans cette cellule, il était presque résigné. Il espérait s’échapper, mais l’idée de rester confiné entre ces quatre murs et ce plafond bas ne lui donnait pas l’impression d’étouffer. Désormais, il savait que la sortie était (peut-être) proche ; et il manquait d’air. Vite, il voulait fuir.
— Nous sommes dans l’un des plus vieux donjons du palais. On n’y a pas effectué les moindres travaux, révéla la créature d’un ton las. Or, déjà, à l’époque de sa construction, il n’était pas parfait-parfait… Tu vois ce petit trou dans le sol ?
Henry suivit le regard de l’endolg, qui lui montrait les toilettes improvisées. Son estomac se noua.
— Oui…
— Il y a une grille, autour. Elle se soulève si on tire dessus.
— Elle mesure un bon mètre de diamètre. Elle est trop lourde pour moi.
— Non, le socle n’est pas convenablement scellé. Tu peux l’ôter, Henry.
— Qu’y a-t-il en dessous ?
— Un tuyau. Un peu boueux, un peu étroit, mais tu devrais réussir à t’y faufiler.
Henry grimaça :
— Je devrais ?
— Ce n’est que mon avis, expliqua l’endolg avec une pointe d’agacement dans la voix. Tu n’as qu’à soulever la grille, et tu verras.
— D’accord. Je te crois. Où mène ce tuyau ?
— D’après moi, dans les égouts du Palais pourpre. Ce n’est pas une certitude. J’ai juste vu une fois un plan de l’ensemble des réseaux souterrains.
— Et les égouts ? Ils sont assez grands pour que je m’y déplace ?
L’endolg émit une sorte de gloussement :
— De ce côté-là, aucune inquiétude ! Ils sont énormes. Gigantesques. Monstrueux, pour tout dire. Et leur puanteur est à l’avenant.
Henry se raidit d’avance.
— Que se passera-t-il si nous n’arrivons pas à sortir des égouts ? s’enquit-il.
— Fais-moi confiance, je resterai avec toi.
— Merci.
— C’est surtout que je ne veux pas affronter seul les rats d’égout, expliqua l’endolg.
Le garçon frissonna. En général, il aimait les animaux, mais il n’avait jamais éprouvé une franche affection pour les rongeurs. Les rats notamment lui donnaient la chair de poule.
— Ils sont gros ? demanda-t-il d’une petite voix.
— Plus que ça. On raconte qu’ils peuvent atteindre la taille d’un cheval. Peut-être est-ce exagéré. Avec un peu de chance, on ne croisera pas leur route, et ils nous laisseront tranquilles. Et même si on en rencontre, ça vaut toujours mieux que de moisir ici, non ?
— Euh… Si tu le dis…
— Eh bien, qu’attends-tu pour soulever la grille ?
Henry s’approcha du trou. Immonde. Les remugles(viii) étaient suffocants. Personne n’avait nettoyé les toilettes depuis des années. Ou des siècles. La grille était donc ornée d’incrustations fécales accumulées par des générations de prisonniers peu soigneux.
— Tu… tu pourrais pas t’en charger toi-même ? vérifia le garçon.
— Non. Les endolgs sont très intelligents, mais notre puissance musculaire est limitée.
— J’ai pas de gants, murmura Henry.
La créature siffla :
— C’est pas vrai ! Mais c’est pas vrai ! Sur les vingt millions d’habitants du Royaume, il a fallu que je tombe sur une petite nature !
— Je ne suis pas une…
— Une chochotte !
— Je ne…
— Une poule mouillée !
— Oh, ça va…
Henry inspira à fond, ferma les yeux, saisit la grille à pleines mains (BEURK !) et tira dessus. Un coup. Deux coups. La plaque bougea d’un demi-centimètre.
— Tire plus verticalement, conseilla l’endolg. Tu tires trop de côté.
— Comment tu t’appelles ? demanda soudain le garçon.
— Flipflop. Pourquoi ?
— La ferme, Flipflop.
Henry s’arc-bouta et reprit son effort.
— Sers-toi de tes jambes ! intervint l’endolg. Tu travailles trop avec tes bras. Ta force doit monter de tes cuisses à la colonne vertébrale, pas de…
— La ferme !
— Oh, moi, ce que j’en dis, c’est pour t’aider, grommela Flipflop.
Henry tira de nouveau par à-coups. Au début, il crut que la grille ne se soulèverait jamais assez. Puis il sentit que les résistances cédaient. Il poussa un dernier « haaan » en jetant ses ultimes forces dans la bataille… et put pousser la plaque de côté.
Dégoûté, il jeta un œil dans le trou puant qui béait devant lui.
— Je rentrerai jamais là-dedans, grogna-t-il.
— Dans ce cas, je passe le premier, proposa l’endolg en s’avançant. Comme ça, au moins, l’un de nous aura une chance de s’échapper !