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Cossus Cossus accueillit Blafardos en haut des marches de l’entrée principale.
— Ravi de te revoir, Jasper ! lança-t-il.
« Il veut que tu te comportes comme si de rien n’était, signala Cyril. Ne parle pas des vyrs. Noctifer a des espions un peu partout. »
« Comment le sais-tu ? »
« Via Bernadette, bien sûr. »
« Bernadette ? »
« La wangaramas qui se trouve dans Cossus Cossus. »
— Tout le plaisir est pour moi, Cossus, répondit Blafardos.
« Je suis venu faire le point avec Lord Noctifer », souffla Cyril.
— Je suis venu faire le point avec Lord Noctifer, répéta Blafardos.
— Sa Seigneurie n’est pas chez lui actuellement. Mais entre, entre ! Il te verra à son retour.
Jasper suivit le Gardien de Black Noctifer à l’intérieur du manoir. Cossus enfila un couloir d’un pas si vif que son invité avait du mal à suivre. Il fut soulagé de voir arriver – enfin – un tube suspendu qui les transporta tous les deux (ou tous les quatre, si l’on comptait Cyril et Bernadette) vers une vaste suite meublée dans le vieux style typique des Fées de la Nuit : stores fermés, luminosité minimale.
— Mes quartiers privés, annonça Cossus. Ici, on peut parler librement. J’ai programmé un golem* pour diffuser des conversations anodines afin de duper les services d’espionnage.
— Tu as programmé un golem ?
— Oui.
— Mais c’est… c’est très dangereux ! bégaya Blafardos, qui avait autant peur qu’envie de le rencontrer.
— Très, confirma son interlocuteur.
— Et la loi le défend !
— En effet. Enfin, pour quelque temps encore…
Les deux hommes se sourirent, et le malaise se dissipa.
— Pourquoi ne pas utiliser un sortilège de discrétion ?
— Pour ne pas éveiller la méfiance. Et pour éviter que les espions n’enregistrent cette pièce comme « vide » ; car si Black me demandait de justifier mon emploi du temps, je serais bien embêté après ! Bon, passons aux choses sérieuses : tu veux un verre ?
— Un verre ou un vyr ? risqua Jasper.
Cossus fronça les sourcils.
« Arrête ! gronda Cyril, furieux. On n’est pas là pour plaisanter ! »
— Excuse-moi… Oui, je veux bien un verre, s’il te plaît.
Cossus Cossus s’éloigna vers le bar pendant que Blafardos admirait un magnifique tableau représentant une scène de torture de jadis – rien à voir avec les tableaux qu’on appréciait ces temps-ci dans le Royaume : à l’évidence, celui-ci avait été peint par un artiste sachant dessiner. Quand Jasper se retourna, il constata avec stupeur que Cossus avait apporté un plateau avec deux verres… et deux seringues hypodermiques.
— Je n’aime pas les piqûres, prévint Blafardos en reculant contre le mur.
— Allonge le bras. Serre le poing. Tu as de belles veines, tu sais ? Détends-toi. Tu ne sentiras rien.
« NE LE LAISSE PAS FAIRE ! » hurla Cyril.
Trop tard. Cossus avait déjà bondi. Enfoncé son aiguille. Appuyé sur le piston. Une étrange chaleur envahit Jasper. La pièce se mit à tourner autour de lui.
Autour de Jasper, le monde devint flou.
— Que… que m’as-tu injecté ? souffla-t-il.
Cossus eut un sourire bizarre et s’empara de la seconde aiguille.