183
— Et pourquoi ne l’as-tu pas fait ? demanda Bleu à Pyrgus.
— Tuer Papa ? s’exclama le Prince, sidéré.
— Oui ! S’il était à ce point défiguré… s’il te l’ordonnait… si…
— Je n’ai pas pu.
— Mais…
— Enfin, Bleu ! D’accord, il était dans un état épouvantable… N’empêche, c’était Papa ! J’étais incapable de le tuer. Je venais de solliciter Gnoma pour qu’il le ressuscite d’entre les morts. Et je n’avais aucune idée de ce qui se tramait.
— Tu ne t’étais pas douté que ton nécromancien courrait voir Noctifer ?
— Non. Ni que les choses tourneraient mal à ce point.
Holly Bleu soupira :
— Qu’est-ce que tu t’imaginais ?
— Que j’allais le ramener à la maison, murmura son frère. Que je trouverais un guérisseur pour s’occuper de lui. De son visage. De ce qui n’allait pas. Qu’il redeviendrait empereur, et que tout serait comme avant.
— Et pourtant, tu ne l’as pas ramené à la maison…
— Gnoma m’en a empêché. Il a affirmé que le processus de résurrection n’était pas achevé. Il préférait le garder un moment en observation, le temps que… que son état se stabilise.
— Tu as refusé d’obéir à Papa, mais une Fée de la Nuit, tu l’as crue au point de lui abandonner notre père ?
— Oui.
— Et cette ordure en a profité pour amener Papa à Noctifer !
Pyrgus acquiesça, l’air pitoyable.
— Je me demande comment ils ont réussi à lui donner un aspect présentable, s’étonna Bleu après un silence.
— Un peu d’art de guérisseur pour le gros œuvre, et des sortilèges d’illusion à haute dose. Impeccable, les premiers temps. Sauf que ça ne tient pas. Voilà pourquoi Noctifer avait programmé l’opération qu’on a interrompue. Ils s’apprêtaient à transplanter un wangaramas dans le ventre de Papa.
La Princesse sursauta. C’était donc ça ! Le vyr aurait permis au corps d’Apatura de mieux fonctionner. Il aurait donné l’illusion de la santé et de la vie dans ce cadavre ambulant. Il aurait permis à Noctifer de laisser croire à la fiction d’un Empereur pourpre qui se remettait juste d’un long coma (et non d’une simple mort).
— Blafardos était porteur d’un vyr ? s’enquit-il.
— Oui.
— C’est lui qui t’a dit ce que mijotait Lord Noctifer, lorsqu’on l’a revu, l’autre jour, dans la salle d’opération ?
— Oui.
— Et toi, tu as coupé la tête de Papa !
— Oui. Oui, OUI, OUIII !
De nouveau, le silence.
— Que va-t-on faire, maintenant ? s’inquiéta Bleu.
— Rien, répondit Pyrgus sans hésiter. Ce qui est fait est fait. Je n’aurais jamais dû ressusciter Papa. C’était terrible pour lui, et affreux pour le Royaume. Mais j’y ai mis bon ordre. Papa est mort. Mort pour toujours. Noctifer ne pourra pas le ramener à la vie. Personne ne le pourra.
Le Prince prit les mains de sa sœur dans les siennes :
— J’ai beaucoup réfléchi, et j’ai trouvé un plan ! Nous allons nous servir de l’histoire de Noctifer contre lui. Il a affirmé que Papa n’était jamais mort, qu’il était juste tombé dans le coma et que lui, Black, l’avait ramené à la vie. À nous d’expliquer que Papa n’a pas survécu. Il s’est accroché un moment, puis il est mort de ses premières blessures. Noctifer n’osera pas nous contredire. Cela l’obligerait à admettre son implication réelle. La cérémonie du Couronnement aura lieu. Une fois Empereur pourpre, je déchirerai ce pacte imbécile que Noctifer a obligé Papa à signer.
— Impossible, objecta Holly Bleu. Ce traité engage ses héritiers au même titre que le signataire, à savoir Papa. Ton nom est cité sur le papier.
— Je trouverai une astuce, promit Pyrgus. Les choses reviendront dans l’ordre. L’important, c’est que, à part toi et moi, personne ne sache qu’un événement illégal a eu lieu.
— Trop tard, rétorqua la Princesse. Car Comma est au courant.