44
Le ver n’avait pas grand-chose d’un ver. C’était plutôt une anguille ou un serpent. À ceci près qu’il était protégé par une solide coquille articulée et brillante – on aurait dit une armure. Enfermé dans une espèce d’aquarium en verre dont on avait ôté le couvercle supérieur, il gardait les yeux fixés sur Blafardos. Sur le sol de sa prison, du sable pour imiter son désert d’origine ; çà et là quelques plantes desséchées pour qu’il se sente moins seul. On avait disposé des tranches de nourriture sur un petit rocher plat.
Blafardos posa un regard interrogateur sur le Maître-des-masques.
— C’est un symbiote, expliqua Maître Wainscot. Une créature qui travaille en association durable et mutuellement profitable avec celui qui l’accueille. Tel le lichen qui, vous le savez, est formé d’une algue associée à un champignon, ce ver s’associera avec vous pour vous aider à marcher comme il convient… donc comme Lord Noctifer.
Blafardos avait reporté son attention sur le lombric. Il mesurait presque vingt centimètres de long et exsudait une sorte de morve à l’odeur repoussante là où ses écailles s’écartaient.
— Ce… cette chose va m’aider à marcher comme Lord Noctifer ? grogna-t-il.
— Oui.
— Mais je suis censé lui donner quoi, en échange ?
— Pardon ?
— C’est un symbiote, non ? Genre : on n’a rien sans rien ; je t’admire si tu m’admires ; tu me grattes le dos si je te gratte le tien… Que compte me demander le ver en échange de son coup de main ?
Blafardos comprenait bien le principe de la symbiose, car il avait fondé sa vie dessus. Le Maître-des-masques le rassura :
— Pas grand-chose. Le ver vous prendra juste un peu de votre pigmentation pour sa parade nuptiale.
— Hein ?
— La femelle ver préfère les vers mâles dotés de petits points clairs. Celui-ci est uniformément foncé, donc il vous empruntera un peu de votre couleur de peau pour se déguiser.
— Et moi, à quoi je vais ressembler pendant ce temps ?
— Vous serez légèrement pâle.
— Ça fait mal ?
— Pas le moins du monde, promit le Maître-des-masques.
— Bon ! s’exclama Blafardos, soulagé. Je m’attendais à pire… Alors, je le mets dans ma poche, et le tour est joué ?
— Hum, pas dans votre poche. Vous devez absorber le symbiote.
— L’abs… L’absorber ? Vous voulez dire : l’avaler ?
— Non, pas l’avaler, rectifia Wainscot. La salive humaine est vénéneuse pour ces espèces…
Son interlocuteur éclata de rire :
— Ha ! J’ai eu peur !
— L’ingestion doit donc se passer par la narine, poursuivit Wainscot, imperturbable. Le ver glisse le long de la gorge, se faufile dans l’estomac, passe dans le gros intestin, franchit sans s’arrêter l’intestin grêle et termine sa course pour s’installer définitivement au fond de l’abdomen, près de votre derrière, en somme, où…
— Attendez ! cria Blafardos. Vous êtes dingue ou quoi ? Vous voulez que je me fourre ce truc dans le nez et que je le laisse courir le long de mes boyaux ? Mais c’est dégueulasse !
— C’est pas beaucoup plus drôle pour moi, déclara le ver.