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Derrière la porte bleue, un couloir étroit plongeait presque vers un tout petit escalier en bois.
Pyrgus avait suivi la silhouette voûtée, au crâne rasé, dans un sous-sol à peine éclairé, qui sentait la poussière et le moisi. Pas de globes lumineux. Quelques flambeaux fumaient. Des grimoires d’arcanes étaient alignés sur des étagères au mur. Un placard ouvert laissait entrevoir une collection de crânes. Sur un tabouret, dans un coin, était assemblé un nécessaire d’alchimiste. À côté, on avait posé une flûte taillée dans un os de jambe humaine.
— Vous savez qui je suis ? avait demandé le Prince.
— Bien sûr, Majesté, avait murmuré l’homme. Votre sortilège est inefficace, ici.
Pyrgus observa son interlocuteur. Impossible de deviner l’âge de Pheosia Gnoma. Il avait les yeux en amande et les pupilles de chat qu’ont les Fées de la Nuit. Deux de ses dents de devant se terminaient en pointes, conférant à Pheosia une étrange tête de vampire.
— Qui d’autre est là ? s’était enquis Pyrgus.
— Personne, Majesté.
La voix de Pheosia était à peine perceptible.
— Vous avez dit « nous vous attendions »…, avait objecté le Prince.
— Oh, je voulais dire : moi et les esprits qui m’assistent !
Pyrgus avait opiné. Gnoma ne ressemblait pas à ce à quoi il s’était attendu. L’homme avait un regard affamé. Très perturbant. Il ne quittait pas son interlocuteur des yeux, et le Prince se sentait de plus en plus nerveux. Vite, faire ce qu’il y avait à faire ; puis filer.
— Je veux que vous ressuscitiez mon père d’entre les morts, avait donc déclaré Pyrgus.
Gnoma lui avait indiqué un siège, près d’une frêle table en bois. Puis il avait placé un petit gobelet devant lui. Il l’avait rempli d’un liquide bleu tiré d’une bouteille à col de cygne.
Son visiteur l’avait fixé d’un œil incertain. L’homme avait souri, dévoilant les espèces de crochets de serpent qui lui tenaient lieu d’incisives.
— C’est du vin libatrix, avait-il affirmé. Une simple décoction d’herbes qui prolonge la vie et éclaircit l’esprit.
Il avait sorti un deuxième verre, s’était servi à la même bouteille et avait avalé le contenu d’une seule gorgée.
— Vous voyez ! s’était-il exclamé, toujours en chuchotant. Aucun danger ! Enfin, Majesté, réfléchissez : je serais bien bête d’empoisonner mes clients.
Pyrgus avait hésité, puis il s’était décidé et avait bu une petite gorgée de son verre. Le liquide était glacé, revigorant et légèrement sucré.
Gnoma avait posé ses deux mains sur la table, paumes à plat :
— Ressusciter votre père risque d’être difficile.
— Je m’en doute.
— Très difficile.
Le Prince l’avait rassuré en posant sa bourse sur la table :
— Je paierai le prix qu’il faut.
— Ce n’est pas une question d’argent.
Pyrgus ne l’avait pas cru. Avec les Fées de la Nuit, tout était toujours une question d’argent.
— Alors, vous ne pouvez pas le ressusciter ?
— Si, si…
Une goutte s’était formée sur le bout du nez de Pheosia, qui avait reniflé bruyamment pour la faire disparaître.
— Les méthodes existent, avait-il continué, son opération accomplie. Hélas, la technique la plus efficace n’est pas…
Il s’était tu. Le Prince s’était impatienté :
— N’est pas quoi ?
— Eh bien, euh… légale.
— Je suis l’Empereur. La loi, c’est moi !
— Vous n’êtes que l’Empereur héritier, Majesté. Mais j’entends votre argument. Cependant, je dois vous avertir. La méthode que j’envisage d’utiliser n’est pas seulement contraire à la loi juridique. Elle est aussi contraire à la loi spirituelle. Et celle-ci, même si vous étiez l’Empereur pourpre, resterait hors de votre ressort.
— Je dois parler avec mon père ! avait rugi Pyrgus.
Il s’était levé si rapidement qu’il avait fait tomber son tabouret.
— Je suis l’Empereur héritier, avait-il rappelé, et, à ce titre, je vous ordonne de ressusciter mon père d’entre les morts !
Gnoma était resté assis, un sourire réjoui aux lèvres :
— Dans ce cas, avait dit le nécromancien, apportez-moi le cadavre d’Apatura Iris.