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Pyrgus émergea du trou noir pour se retrouver devant la plus belle paire d’yeux violets qu’il eût jamais vue. D’autant que ce qu’il y avait autour des yeux n’était pas mal non plus. Elle était magnifique, en fait. Le cœur du jeune homme battait à grands coups. Des tremblements agitaient son corps. C’était peut-être l’amour. Ou la mort qui commençait.
Il sentait que son cerveau n’était pas sorti indemne de l’agression. Il était troué comme du gruyère. Pyrgus était incapable de fixer son regard sur quoi que ce soit. Autour de lui, tout tournait. La fille avait néanmoins noté qu’il avait ouvert les yeux.
— Désolée, dit-elle en se penchant vers lui. J’étais obligée de t’assommer. À cause de ta dague.
Pyrgus n’osa pas hocher la tête de peur de vomir. Il jeta un coup d’œil autour de lui. Des arbres l’entouraient. Il lui sembla être allongé sur un matelas d’aiguilles de pins, dans la clairière d’une forêt. Des silhouettes en uniforme vert apparaissaient, floues, derrière la splendide jeune fille.
Le Prince essaya de se concentrer. Que lui était-il arrivé ? Il se rappelait l’exil, l’ouklo, le chauffeur mort… Et soudain, il comprit : Noctifer ! Les sbires de Noctifer l’avaient capturé. Mais M. Fogarty ? Bleu ? Qu’étaient-ils devenus ? Il tâcha de les repérer… puis renonça. Il ne pouvait rien pour eux. En ce moment. Il se sentait faible comme un chaton. Cependant, on ne lui avait pas lié les bras. Bizarre. Il poussa un grognement destiné à prouver qu’il n’était pas mort et que, si on lui laissait le temps de se remettre, il se vengerait.
En supposant qu’il réussît à attaquer une créature aussi bouleversante que la soldate aux yeux violets. Pour sauver Bleu et M. Fogarty, il y parviendrait. Quoique. Il venait de croiser le regard soucieux de la jeune fille posé sur lui, et il n’était plus du tout sûr de pouvoir s’obliger à lui faire du mal. « C’est bien ma chance ! pensa-t-il. Tomber raide dingue d’une servante de mon pire ennemi…» Mais aussi, quelle idée de travailler pour un tel monstre quand on est aussi belle !
— Je crois qu’il revient à lui, signala la splendeur en vert.
Sa voix tintinnabulait comme des clochettes dans le vent.
Pourtant, ses yeux… quelque chose n’allait pas avec ses yeux. Pyrgus avait hâte de découvrir quoi.
Soudain, il vit une silhouette encapuchonnée qui s’approchait. « Black Noctifer », songea-t-il. À sa portée. S’il arrivait à forcer son corps à lui obéir, il étranglerait ce chacal et mettrait fin à ses jours avant que ses gardes du corps ne fussent intervenus. Ce serait parfait. Mieux que parfait. Car Noctifer avait commis un crime en attaquant Pyrgus et sa suite lors de leur exil. Si le chef des Fées de la Nuit périssait des mains d’un Prince en état de légitime vengeance, il n’y aurait aucune répercussion politique dangereuse pour la Maison d’Iris.
Restait à obtenir de son corps qu’il lui obéisse.
Pyrgus rassembla ses forces. Il avait conscience que tuer Noctifer revenait probablement à se suicider. Néanmoins, si improbable que cela parût, il y avait une chance – sur un million, mais une chance quand même – qu’il réussît à prendre son ennemi juré en otage ; ainsi, il s’échapperait avec lui et le tuerait en toute tranquillité. De la sorte, il aurait renversé l’équilibre du pouvoir dans le Royaume.
Cette idée le galvanisa. Il respira par petits coups. Puis prit une profonde inspiration, gonfla sa poitrine, sauta sur ses pieds et attrapa Black à la gorge. L’homme recula. Son capuchon tomba.
— Mon cheeer, surveillez vos manières ! glapit une voix familière.
— Oh ! s’exclama Pyrgus en retombant. Pardon, madame Cardui !