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La plate-forme flottante descendit, et les gardes y jetèrent Blafardos. Là, le prisonnier fit face à la scène la plus effrayante qu’il eût jamais connue.
Même si on pouvait y trouver certains aspects rassurants. La propreté, par exemple : toutes les surfaces métalliques étincelaient ; le sol avait été poli récemment ; et le linge, posé sur les tablettes jouxtant le lit libre, était immaculé.
Il y avait deux couchettes côte à côte. Sur l’une était allongé Apatura Iris, le dernier Empereur pourpre. Ses membres avaient été entravés. Il avait les yeux ouverts, immobiles, fixés vers le plafond. Bien que l’homme ne bougeât pas un cil, Blafardos devinait qu’il n’était pas sous anesthésique. Plus tard, l’Empereur y aurait sans doute droit. Noctifer se souciait de la santé de celui qui restait la clef de sa révolution.
Entre les deux couchettes se tenait un chaman – en tout cas, un homme qui avait revêtu la tunique des chamans. Il avait les yeux si sombres qu’il était impossible de déterminer s’il s’agissait d’une Fée de la Nuit ou d’une Fée de la Lumière sans scrupule. Ses mains énormes respiraient la puissance.
— Voici Nuée Jaune de Montagne, déclara Noctifer. Notre chirurgien psychique.
— Enchanté, prétendit Blafardos.
— Monte, ordonna Black.
Jasper grimpa sur sa table d’opération. Il put ainsi voir de très, très près ce qui l’effrayait tant : les… comment appelait-on cela ? Les instruments. Les outils. Bref, ce dont le chirurgien psychique comptait sans doute se servir pendant les minutes suivantes. Il y en avait beaucoup. Et aucun objet ne rattrapait l’autre. Blafardos avisa notamment un appareil pour recoudre les blessures ; une scie sauteuse en forme de ciseaux, qui permettait d’amputer n’importe quel membre introduit entre les lames tranchantes ; un tiroir compartimenté, destiné à recevoir les résidus humains – et où étaient en effet rangés des mains, des pieds, des doigts, des orteils, des oreilles, et un nombre inquiétant d’yeux, rangés par couleur.
« J’espère qu’ils vont tout te faire subir », susurra Cyril.
Blafardos l’ignora. Ou du moins, essaya de l’ignorer. Il avait assez à s’occuper avec sa propre peur pour ne pas se soucier des menaces du wangaramas.
On lui avait ordonné de se déshabiller. Il avait froid. Un peu parce que la couchette était glacée.
Un peu seulement.
Il tenta de penser positif : on ne l’avait pas rasé. Peut-être ne se servirait-on pas des engins de torture qui l’entouraient. Tu parles d’une bonne nouvelle ! Certes, les chirurgiens psychiques ne recouraient pas systématiquement à ce fatras. Les meilleurs d’entre eux se contentaient de vous plonger les mains dans le corps et de farfouiller dans vos entrailles à la recherche de ce qui les intéressait. Cela paraissait horrible ; hélas, dans les faits, « horrible » était un euphémisme. Jasper avait lu quelque part que, selon une expertise officielle, cette technique médicale était dix-sept fois plus douloureuse pour le patient que s’il avait eu les testicules broyés dans un étau sans sortilège anesthésique.
Blafardos se tortilla pour trouver une position confortable. Il aurait aimé être couvert. Par une bonne grosse couette, de préférence. Il tremblait de froid, de honte (il n’avait jamais été très fier de son corps) et de peur anticipée : il imaginait déjà Nuée Jaune de Montagne plonger ses mains dans ses intestins pour en extraire le vyr avant de le placer directement dans l’abdomen de l’Empereur pourpre. Rapide, efficace, épouvantable.
Il aurait préféré ne pas y penser. Il avait une nausée d’une rare intensité. Le wangaramas aussi – ce qui donnait à Blafardos l’impression que son cerveau s’apprêtait à baigner dans du vomi de petit chien.
Alors, il pria. Pria pour que Noctifer ne lui eût pas menti. Pour que, si effrayant que cela parût, l’opération eût lieu au plus vite et…
Une nouvelle vision d’horreur interrompit ses pensées : Noctifer venait de se pencher vers lui et souriait.
— On commencera dès que le sorcier anesthésiste sera arrivé, annonça-t-il.