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Les appartements de l’Empereur n’avaient rien de spectaculaire. Leur taille était même si modeste que, quand Comma, Pyrgus et les siens eurent tous pénétré à l’intérieur, ils parurent bondés. Le Prince remarqua que Bleu s’était crispée. C’était là qu’elle avait vu leur père pour la dernière fois, le visage détruit par la balle reçue à bout portant. Pas le temps de la réconforter. Comma tirait déjà son demi-frère par la manche et soufflait :
— Je ne pouvais pas renvoyer mes gardes, expliqua-t-il. Le capitaine vous avait reconnus, Bleu et toi. Si je les avais renvoyés, ils seraient allés cafter. J’ai préféré les cantonner ici : ils n’oseront pas désobéir à un ordre direct. Mieux vaut qu’ils restent à la porte. On sait où ils sont… et où ils ne sont pas.
— D’accord, mais…
— N’oublie pas que j’ai interdit de laisser entrer quiconque, Pyrgus, l’interrompit son demi-frère. Sans exception. Ils retiendront ma mère.
— Ta mère ? reprirent en chœur Bleu et Pyrgus.
— On l’a laissée sortir. Juste après votre départ. Elle est libre de circuler à sa guise dans le palais.
— Qui l’a laissée sortir ?
— M… moi, finit par avouer Comma.
— Tu es aussi fou qu’elle ! s’exclama Holly Bleu.
— Vous parlez de Quercusia ? s’enquit Henry.
Il n’était pas à l’aise au milieu de cette mise au point familiale, et il pensait que son intervention pourrait contribuer à détendre l’atmosphère.
— Tu la connais ? s’étonna la Princesse.
— Oui. J’ai parlé avec elle.
La jeune fille frémit :
— Et tu as survécu ?
— Il faut croire ! Elle m’a jeté en prison. Mais ce que je veux d…
— Je suis désolé, Pyrgus, déclara Comma en les ignorant. Je n’avais pas imaginé que les choses tourneraient ainsi. Quand Oncle Black m’a proposé de devenir le nouvel Empereur pourpre, il m’a promis qu’il ne te ferait aucun mal. Il a dit qu’il te donnerait une nouvelle maison, que tu ne voulais pas vraiment être empereur, que tout le monde était au courant, et que si moi je le devenais, je pourrais faire ce que je voulais et donner des ordres, et les gens m’obéiraient en tout point. Mais depuis que je vous ai envoyés en exil, Bleu et toi, la situation a changé et…
Pyrgus le coupa :
— Comma, notre père est à nouveau vivant, tu es au courant, non ?
— Si, bien sûr…
— Bon, il est là ? Peux-tu nous mener jusqu’à lui ?
— Non. Oncle Black l’a ramené avec lui.
— Où ça ?
— Dans sa nouvelle propriété, au cœur de la forêt.
Pyrgus se mordit les lèvres et murmura :
— Dire qu’on était si près…
— On n’a plus qu’à repartir, conclut Bleu.
— Comma, dis à tes gardes de s’en aller, exigea le Prince.
— Non.
— Comment ça, non ?
— Non, parce que si je les renvoie, ils sauront que vous êtes repartis, et ils devineront où vous êtes repartis, et ils avertiront Oncle Black, et il vous attendra là-bas…
Bleu soupira et essaya de faire preuve de patience :
— Mais si tu ne les renvoies pas, on est coincés ici !
— Non, dit l’Empereur héritier en lui décochant un sourire.
— Encore non ? s’emporta-t-elle.
— Hé ! T’énerve pas ! Tu ne vas quand même pas me reprocher de te révéler qu’il existe un passage secret !
Pyrgus fronça les sourcils :
— Un… un passage secret ? Je connais ces appartements comme ma poche, et je n’y ai jamais vu de passage secret…
— Vérifie ta poche, dans ce cas, rétorqua Comma, car ici, il y a vraiment un passage secret ! Regarde !
Il posa ses mains sur le manteau de la cheminée et appuya sur un bouton invisible. La cheminée glissa sur le côté avec un grincement sourd. À la place apparut une petite pièce donnant sur un escalier en pierre qui s’enfonçait sous terre.
— Il y a un passage au bout, affirma Comma. Il débouche à l’orée des bois et va jusqu’à la pointe de l’île. Tu y trouveras même un bateau, si tu en as besoin.
Le Prince observa son demi-frère. Le crapaud crétinoïde avait disparu. Un petit garçon intelligent avait pris sa place.
— C’est génial ! s’écria-t-il. Si tu fermes l’entrée derrière nous et ne dis mot à personne, nous serons sortis de l’île sans que les gardes s’aperçoivent de quoi que ce soit !
— Oui… mais non, lâcha l’Empereur héritier.
Bleu se mordit les lèvres pour ne céder ni à la colère ni au fou rire nerveux.
— Pourquoi encore « non » ? demanda-t-elle.
— Parce que je ne fermerai pas l’entrée derrière vous, mais derrière nous. Je vous accompagne.