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Beleth était dans un sale état. Il demeurait effrayant, bien sûr : c’était un Prince. Un démon. N’empêche, il était salement amoché.

Il avait choisi d’apparaître dans sa version gigantesque. Celle sous laquelle Sulfurique l’avait vu pour la dernière fois : un corps immense, bardé de muscles saillants ; et une tête massive surmontée d’impressionnantes cornes de bouc de chaque côté du front. Mais cela n’en soulignait que mieux son piteux état. Une corne brisée. Deux crocs cassés. Une oreille en moins. Un hématome jaunâtre à l’œil droit. Un gros bleu qui palpitait sur le front. Une très vilaine cicatrice qui partait de la joue gauche et courait le long de sa gorge.

Sulfurique avait toujours eu une peur panique du Prince des démons. Cependant, à l’heure actuelle, la créature paraissait à peine en état de croquer une cuisse de grenouille. Le cœur du vieillard se remit à battre, et le sang ramena des couleurs sur son visage.

— Que vous est-il arrivé ? s’enquit-il.

— Aucune importance, gronda Beleth.

— Voyons, je suis inquiet pour…

— Une bombe m’a explosé au visage. Par chance, cette forme est grosso modo indestructible. Ce qui est important…

— Comment êtes-vous arrivé jusqu’ici ? l’interrompit Sulfurique, enhardi par le délabrement de son ennemi. Les portails avec Hael ne sont pas fermés ?

Dans ce cas, Beleth avait dû venir par la voie du vimana. Pas d’autre solution. Et s’il était là aujourd’hui, alors que le voyage était censé prendre des années d’ordinaire, cela indiquait qu’il avait emprunté un vaisseau monoplace – ce qu’il n’avait jamais, jamais fait par le passé.

C’était très grave.

Le Prince des démons se pencha soudain, attrapa le vieillard par la gorge et le souleva plusieurs mètres au-dessus du sol.

— GÂÂÂH ! protesta sa victime. GÂÂÂÂÂH !

— Ce qui est important, reprit Beleth d’une voix calme, soufflant son haleine de soufre au nez de Silas, c’est que le reste du Royaume de Hael n’a pas eu ma chance.

Il redescendit un peu le vieillard puis le lâcha.

— Aïe ! gémit Sulfurique en se massant à la fois le coccyx et la gorge. Vous… voulez dire que… le Royaume de Hael est détruit ?

— Ne sois pas stupide ! Il a juste besoin d’une sérieuse reconstruction.

Sulfurique faillit crier de joie. Si Beleth devait rebâtir son Royaume, il aurait autre chose en tête que de faire appliquer un pauvre contrat.

« Hum, pas sûr…», pensa le vieillard quand le démon plongea ses yeux injectés de sang dans les siens.

— Il y en a pour plusieurs milliards, résuma le Prince.

— Euh, là, je suis à sec. Dès que je me serai remis à flot, je me ferai un devoir de…

— On m’a trahi ! tonna le démon sans écouter. On a fait preuve d’ingratitude ! On a rompu des accords, on est revenu sur sa parole donnée, on a retourné sa veste, et on croit s’en sortir comme une fleur ! ON SE TROMPE ! ON SE TROMPE énormément !

Sulfurique verdit :

— Je… j’ai eu un petit problème, j’avoue… Les circonstances…

— Pas toi, fieffé imbécile ! Ce pendard, cette ordure, ce chien de Noctifer !

— N… Noctifer ? Lord Black Noctifer ? Mais vous n’étiez pas alliés ?

— Précisément, abruti ! Crois-tu qu’on est trahi par ses ennemis ? Non, ce sont toujours ces petits… ces misérables… ces microbes… ces chacals que je vais briser…

Beleth était hors de lui. Ses yeux lançaient des éclairs de sept couleurs. Une pluie de bave dégoulinait de sa gueule. Le bleu gonflé sur sa tête battait si fort qu’il semblait sur le point d’exploser. La cicatrice sur sa gorge parut sur le point de céder, montrant une rangée de points de suture tendus à l’extrême.

Sulfurique se demanda si le démon avait lui-même dû se recoudre. Si tel avait été le cas, il n’aurait pas voulu être à sa place – oh, non !

— Noctifer était ravi que je lui propose mon aide, lâcha le monstre. Sans moi, il n’aurait jamais pu prétendre au trône pourpre. Et à présent que j’ai besoin d’un coup de main à mon tour, il ne me connaît plus !

— C’est très mal, pontifia le vieillard.

« Mais à quoi vous attendiez-vous de la part d’une Fée de la Nuit ? » pensa-t-il par-devers de lui.

Un plan commençait de germer dans sa tête. Beleth était mal. À genoux, pour être précis. Presque à la merci du premier magicien venu. Sauf que les Princes des démons ont toujours quelques tours de magie très noire et très douloureuse dans leur sac. Et puis, Beleth savait que Sulfurique venait d’enterrer le corps de sa dernière victime. Il pouvait le faire chanter. Il allait falloir jouer serré ; cependant, le jeu en valait la chandelle.

— Puis-je vous apporter mon concours ? proposa-t-il.

— Oui.

— Pour faire quoi ?

Beleth le lui dit.

Et Sulfurique n’en crut pas ses oreilles.

L'Empereur pourpre
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