79
Pyrgus avait la tête qui tournait. La situation le dépassait. À qui se fier ? Et comment se sortir de cette situation ?
— Nous sommes disposés à vous aider, déclara la Reine des Fées de la Forêt.
« Pourquoi ? » voulut demander le jeune homme.
— Comment ? s’enquit M. Fogarty.
— Par tous les moyens possibles.
— Y compris un soutien militaire ?
— Oui, bien sûr.
Le Prince se raidit. Un soutien militaire, cela signifiait rien de moins qu’une guerre… alors que le Royaume avait évité de justesse un conflit peu de temps auparavant. Pas question.
Mais il n’était pas davantage question de laisser la situation en l’état. Même quand Noctifer l’avait banni, par l’intermédiaire de Comma et avec l’aval de leur père, il se doutait qu’il tenterait quelque chose pour reprendre le pouvoir. Un jour. Plus tard. Quand il aurait retrouvé ses esprits, à l’abri dans le Haleklind. Pas dans l’immédiat.
— Pourquoi ? demanda Pyrgus.
— Pendant des générations, Prince Pyrgus, mon peuple s’est tenu à l’écart des conflits opposant les Fées de la Nuit et les Fées de la Lumière. Cela ne nous regardait pas. Nous ne souhaitions pas nous retrouver mêlés à vos histoires. Nous nous sommes donc servis de nos connaissances et de notre savoir-faire pour rester discrets. Vous connaissez le proverbe : « Pour vivre heureux, vivons cachés. » Eh bien, nous avons tâché de demeurer cachés. Non sans succès. Les profondeurs de la Forêt sont dangereuses. Très rares sont ceux qui ont la folie de s’y aventurer. Ces fous-là ne voyaient que ceux que nous désirions qu’ils voient : une poignée de Fées de la Forêt vivant comme des bêtes sauvages et jouant de temps en temps à brigander les curieux.
— Reine Cléopâtre, à aucun moment…
— Ne vous inquiétez pas, Princesse Bleu. À nos yeux, cela n’avait aucune importance. Nous n’en avons pas pris ombrage. Au contraire. Nous demeurions ainsi à l’abri des envieux. Nul ne cherchait à en connaître trop sur nous. Nul ne pensait à nous faire la guerre. On nous laissait tranquilles. Et seuls. Croyez-moi, nous considérions cette tranquillité comme un don précieux et non comme une insulte.
— Mais cela a changé, anticipa Pyrgus à voix haute.
— En effet. Un membre de votre noblesse s’est récemment construit une vaste propriété dans la forêt.
— Vous ne l’en avez pas empêché ?
— Nous avons fait notre possible. Toutefois, nous ne voulions pas non plus révéler notre existence par une action trop massive…
— Vous considérez ce domaine comme une déclaration de guerre ? demanda M. Fogarty.
— Non. Sa taille reste modeste en comparaison de la Forêt. C’est ce qu’il contient qui nous déplaît. Son propriétaire s’est fait construire des trous de l’Enfer. Or, nous ne pouvons pas tolérer de démons dans la Forêt. Nous gardons nos frontières depuis des siècles ; et voilà que ce… cette créature menace de nous envahir de l’intérieur !
— Les portails qui connectent Hael au Royaume sont fermés, fit observer Holly Bleu.
La Reine acquiesça :
— En effet. Cela nous laisse le temps de nous retourner. Mais les portails finiront par rouvrir, soyez-en persuadés. Et lorsqu’ils seront de nouveau opérationnels, nous craignons pour notre vieil habitat Mon Conseiller et moi étions en train d’échafauder un plan quand Mme Cardui nous a contactés pour nous proposer une autre solution.
— Vous voulez que nous vous aidions à détruire les trous de l’Enfer, conclut M. Fogarty, et, en échange, vous nous offrez votre aide pour réinstaller le Prince Pyrgus sur le trône, c’est ça ?
— Les deux objectifs sont liés, répondit Cléopâtre. Le propriétaire qui nous cause du souci est un certain Lord Noctifer. Vous connaissez ?
— Je sais bien que les ennemis de nos ennemis sont nos amis, commença Pyrgus. Cependant, je ne comprends pas pourquoi vous n’avez pas attaqué Lord Noctifer vous-même. D’après ce que j’ai vu de votre armée, vous n’auriez eu aucune difficulté à raser son domaine !
— Il y a deux raisons à cela, exposa la Reine. La première, c’est que nous n’aimons pas nous montrer. Si d’aventure nous venions à vous aider, nous exigerions votre parole de ne pas révéler nos origines.
— Vous l’auriez, évidemment.
— La deuxième raison, c’est que mes conseillers et moi-même ne pensons pas que notre sécurité serait assurée dès lors que nous aurions expulsé Noctifer de la Forêt. Tôt ou tard, il y reviendrait. Nous voulons une solution plus radicale. Nous voulons que cet homme disparaisse. Et nous pensons que vous aurez peut-être quelque intérêt à nous y aider.
— Ça se tient, estima M. Fogarty.
— Votre offre ne pouvait pas mieux tomber, Votre Majesté, renchérit Bleu. Mon frère et moi sommes très touchés que…
Pyrgus se mit debout et, d’un geste de la main, interrompit sa sœur :
— Merci beaucoup pour votre proposition, ô Cléopâtre, Reine des Fées de la Forêt. Mais c’est non.