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Noctifer vrilla son regard noir de nuit sur Blafardos :
— D’abord, la sarbacane. Ce n’est ni une baguette magique féerique, ni une baguette magique du Monde analogue. En fait, ce n’est pas une baguette magique. Pour tout dire, elle n’a rien de magique. Rien de rien. Ce n’est même pas une arme. Juste un jouet inoffensif. Du moins, tant qu’on ne s’en sert pas avec ceci…
L’homme tira une boîte de sa poche et la tendit à Blafardos. Celui-ci s’en saisit, jeta un coup d’œil interrogateur à Noctifer, puis l’ouvrit. Dedans, cinq minuscules fléchettes pourvues de plumes étaient disposées sur un lit de velours.
— Ne touche pas les bouts ! l’avertit Black. On les a trempés dans du venin d’araignée. Si tu en effleures un, tu meurs.
Blafardos referma la boîte d’un coup sec. Noctifer se mit à rire :
— Oh, ce serait une fin intéressante, tu sais ? Horriblement douloureuse mais intéressante. Ça commence par une bonne paralysie progressive. Puis ta peau devient bleue. C’est alors que tu sens la souffrance t’envahir, et tu te mets à hurler jusqu’à en crever. Il te faut quatre bonnes minutes pour expirer. J’ai essayé le produit sur un domestique. Très étonnant à observer. Son visage a fini par exploser…
L’homme redevint grave et fixa son assassin de confiance.
— Donc, tu apportes la sarbacane dans la Cathédrale sans te cacher, continua-t-il, puisque ce n’est qu’une inoffensive pipe à bulles. Les fléchettes, tu les portes comme des ornements à ton chapeau. Ensuite, c’est là que le plan est malin… Quand tu voudras tuer l’Empereur élu, tu n’auras plus qu’à prendre une fléchette à ton chapeau. Tu seras entouré par mes hommes, si bien que personne ne remarquera quoi que ce soit. Tu prends ta fléchette, tu l’introduis dans ta sarbacane, et tu souffles.
— Je… souffle ?
— Oui, Jasper, tu souffles. C’est la force de ton souffle qui propulsera la fléchette vers la personne que tu viseras !
Ses yeux scintillèrent de joie. Le regard de Blafardos alla de la sarbacane à la boîte de fléchettes… puis revint vers Noctifer.
— C’est délicieusement élémentaire, reconnut-il en frissonnant.
— Élémentaire mais radical, insista Noctifer. Notre jeune ami Pyrgus remarquera à peine la blessure. Il s’imaginera sans doute qu’un insecte l’a piqué. Il faut quatre minutes avant le début de la paralysie. À ce moment, tu seras loin…
Blafardos réfléchissait à toute vitesse. Même s’il n’oserait jamais l’admettre ouvertement, Noctifer était un salaud de premier ordre. Cependant, Jasper ne voyait pas le piège qui lui était tendu. Ni la faille du dispositif.
Ah, si ! Il y en avait une. Et de taille.
— Votre Seigneurie, j’ai l’impression qu’il reste un petit problème…
— Ah bon ? Et lequel ?
— Eh bien, vous vous en doutez, je ne suis plus tout à fait ce qu’on pourrait appeler un agent secret. Enlever la Princesse royale était une idée excellentissime. Néanmoins, elle a révélé au grand jour que j’étais votre, euh, maître espion, pour reprendre votre expression.
« Et cela m’a valu de me retrouver dans une cellule sale et puante », ajouta-t-il en silence. Ce n’était pas le moment d’en parler. Vraiment pas.
— Et alors ? s’impatienta Noctifer.
— Mon visage est connu, Seigneur. J’ai une certaine… notoriété, que mon évasion va sans doute renforcer. Je crains que les agents de sécurité de l’Empereur ne m’arrêtent avant que j’aie posé un demi-orteil sur le parvis de la Cathédrale !
— Ha… Ha, ha…
Un rictus malicieux déforma le visage de Noctifer.
— Tu crois que je n’ai pas pensé à ça ? demanda-t-il. Tu crois que je n’ai pas envisagé une évidence aussi évidente ?
— Non, Votre Seigneurie, ce n’est pas du tout ce que j’ai voulu suggér…
— Vois-tu, mon plan est réellement génial, continua Noctifer sans l’écouter. Il faut que tu saches, mon cher Jasper, que je n’ai pas l’intention d’assister au Couronnement.
— Vous ne… Mais vous devez être invité !
— Bien sûr que je suis invité, crétin ! Je suis incontournable, dans ce Royaume. Et pourtant, je n’ai pas l’intention d’y aller. Voilà pourquoi j’ai ordonné qu’on me confectionne juste pour l’occasion un sortilège d’illusion. Tu vas aller au Couronnement à ma place… avec mon apparence.
Derechef, un grand sourire illumina son visage :
— Je t’ai dit que tu serais entouré par mes hommes, non ? Ce seront mes gardes du corps… enfin, les tiens.