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Mme Cardui n’était pas dans les appartements qui lui avaient été attribués au palais. Par chance, le Gardien réussit à la trouver « quelque part », dit-il ; et les deux plus proches conseillers de l’Empereur héritier arrivèrent ensemble. Bleu leur trouva l’air bizarres. Un effet de son imagination… ou pas : de toute façon, dans l’immédiat, elle avait des sujets d’inquiétude autrement plus sérieux qui lui occupaient l’esprit.
Elle résuma la situation, provoquant la stupéfaction de ses interlocuteurs.
— Noctifer peut ressusciter un mort ? s’exclama M. Fogarty.
— Les nécromanciens en sont capables, répondit Pyrgus très bas, comme s’il avait sorti une obscénité. Certains d’entre eux. Quelques-uns. La plupart savent juste parler avec les… avec les…
— Mais certains peuvent ? Et certains le font ?
Le Gardien était si pressant qu’on aurait cru qu’il posait là une question personnelle.
— Oui, si le… comment… si la… si les choses n’ont pas été trop loin.
— Si le cadavre n’a pas commencé à pourrir ?
Pyrgus acquiesça, les lèvres serrées.
— Ben pourquoi vous Pavez pas fait ?
M… Moi ? bégaya l’Empereur héritier.
— Toi ou Bleu, oui.
— Ressusciter Papa ? s’étonna la Princesse.
Le Gardien observait le frère et la sœur, sidéré par leurs réactions :
— Vous l’aimiez bien, non ? Remarquez, je comprends pas pourquoi vous ne ressuscitez pas plus de gens ! Après les batailles, par exemple, vous devriez rendre la vie à vos soldats, non ?
— C’est… c’est interdit, fit observer Bleu.
— Ha ! Interdit ! Et par qui, s’il vous plaît ?
— Par la Loi et par l’Église de la Lumière.
M. Fogarty paraissait incrédule :
— Pas d’autres raisons ?
— Juste que… c’est mal, dit la Princesse.
— Bon, supposons que je meure, moi. Vous pourriez me faire ressusciter ?
— C’est interdit, répéta Bleu.
— Par votre religion. La mienne ne mentionne rien à ce sujet : je suis presbytérien.
— Mais il y a un problème, l’avertit la jeune fille.
— Ça m’aurait étonné ! ironisa le vieil homme.
— Le nécromancien aura le contrôle sur vous, continua Bleu.
Le Gardien frappa dans ses mains :
— Ha ! Donc, si je te suis, Lord Noctifer a volé le corps de votre père, puis il l’a animé pour le transformer en esclave personnel obligé d’obéir à ses moindres ordres ?
— Presque : le zombie n’obéit qu’au nécromancien qui l’a ressuscité, corrigea la Princesse. Pas à Noctifer.
— Il y a un intermédiaire entre Noctifer et ton père ?
— Oui. Peut-être que quelqu’un a ressuscité Papa avant de le revendre. Il y a eu d’autres cas, par le passé, je l’ai lu dans mes manuels d’histoire.
— D’ailleurs, peu importe, trancha Pyrgus. Quelle que soit la méthode, le résultat est le même : Papa est soumis cent pour cent à Noctifer.
— Sauf que les gens n’y croiront pas, puisqu’ils connaissent cette histoire de zombies ! objecta M. Fogarty.
Bleu parut sur le point de pleurer. Cependant, elle trouva la force de se retenir et de murmurer :
— C’est pourquoi Hamearis affirme que Papa était seulement dans le coma, pas mort. Cela lui permet de prétendre qu’il agit de sa propre volonté.
— Je vois… Il est encore là ?
— Papa ? Non. Je ne crois pas. Je ne sais pas. Il est venu avec le duc de Burgonde ; après, il nous a confirmé le pacte et nous a quittés.
— Et Hamearis ?
— Parti aussi, il y a une demi-heure, signala Pyrgus.
— Dommage. On aurait pu le kidnapper et l’interroger. Ça nous aurait donné un avantage sur Noctifer.
Mme Cardui avança d’un pas et parla pour la première fois depuis le début de l’entrevue :
— Ce n’est pas aussi simple, Alan.
Bleu sursauta. Personne n’avait jamais appelé le Gardien « Alan », jusqu’alors !
— Mes cheeers enfants, continua-t-elle, la situation doit être terrible à vivre, et je comprends votre trouble. Combien de temps avant que ce sale petit homme rende le pacte public ?
Pyrgus sursauta à son tour. Devant lui, personne n’avait jamais traité Noctifer de « sale petit homme », jusqu’alors !
— Il veut que j’abdique mon titre d’Empereur héritier, dit-il. Aussitôt après, il divulguera le pacte.
— Combien de temps peux-tu le faire patienter ? s’informa M. Fogarty.
— Il faut que j’abdique avant la Cérémonie de couronnement.
— Nous trouverons un plan d’ici là, affirma Mme Cardui. Bleu opina. Elle n’en était pas sûre. Elle aurait aimé que Henry fût là, avec elle. Il le lui avait promis. Mais qu’est-ce qu’il fabriquait, à la fin ?