78

Cruel dilemme pour Henry. Soit il glissait la tête la première dans un tuyau étroit où des tas de prisonniers avaient fait leurs besoins ; soit il s’y risquait les pieds en avant, avec pour seul guide Flipflop. Du moins tant que l’endolg voudrait bien s’encombrer de son compagnon de cellule et l’aider à négocier le souterrain. Alors, que valait-il mieux ?

Pendant ce temps, Flipflop, qui s’était déjà aventuré dans le tuyau, s’impatientait :

— Dépêchons ! Je ne vais pas rester planté ici. Ça renarde velu(ix), si tu me passes l’expression.

Le garçon prit sa deuxième grande inspiration de l’après-midi et se jeta dans les entrailles des toilettes. Il était à peine entré en entier dans le boyau qu’il sentit qu’il était incapable d’avancer.

« Génial ! » pensa-t-i.

— Pousse fort ! lui souffla Flipflop.

Henry l’aurait étranglé. Il poussait fort ! Mais ça ne servait à rien. Il était coincé. Impossible de descendre davantage. Impossible de remonter.

Et si l’endolg l’avait attiré dans un piège horrible, inventé spécialement par cette frappadingue de Quercusia ? Une torture où le supplicié restait coincé, la tête en bas, dans un tuyau d’évacuation des immondices, jusqu’à ce que mort s’ensuive ? Non, ce n’était sans doute pas le cas… Cependant, les remugles de l’égout montaient aux narines du garçon et ne l’incitaient pas à un optimisme démesuré.

— Expire ! lui conseilla l’endolg. Tu verras, ça coulissera mieux.

Le garçon grogna. Expira pour voir. Puis avança de nouveau les épaules. Gagna quelques centimètres. Un peu plus. Et cessa de progresser.

— Faut que je remonte chercher le flambeau, murmura-t-il.

— Hé ! ça va pas la tête ? Si tu as le malheur d’allumer ne serait-ce qu’une étincelle dans les égouts, tu mets le feu au méthane ambiant… et la moitié du palais explose.

— D’accord, d’accord, grommela Henry.

De toute façon, il n’arriverait pas à remonter. Il mourrait dans le noir. Au point où il en était…

Toutefois, au cas où il aurait eu une minuscule chance de survie, il tâcha de se tortiller de plus belle. Il tira sur les coudes. Expira. Poussa sur ses genoux. Et s’enfonça nettement. Il avait trouvé la technique !

— Courage, souffla Flipflop. Plus loin, ça s’élargit !

— Bonne nouvelle, lâcha-t-il.

« Si ça se rétrécissait, là, j’étais cuit », songea le garçon.

— Tu sais où on va ? s’enquit-il.

— Oui, guide-toi au son de ma voix, conseilla l’endolg.

— Tu vois dans la nuit ?

— Non, mais je siffle et ça m’aide à m’orienter. Dans les grandes canalisations, il y aura des champignons lumineux qui poussent sur la surface de… de tu devines quoi.

— Tu es déjà venu ?

— Oui.

Avant que le garçon eût pu approfondir la question, l’endolg cria :

— Attention, ça tourne !

À présent, Henry n’avait aucune difficulté à ramper le long du tuyau. Il sentit l’angle que formait la canalisation et se contorsionna pour le passer. La puanteur devint plus oppressante. Le souffle rauque, il entendit la voix de Flipflop :

— Dans un instant, tu… Trop tard !

PLOUF ! La canalisation avait pris fin brusquement, et le garçon venait de tomber dans une mare d’eau – du moins, il espérait que c’était de l’eau. Il se releva précipitamment. Toussa. Par chance, il avait pied et put reprendre sa respiration.

L’endolg avait dit vrai. La canalisation était gigantesque. Çà et là, un halo verdâtre émanait de pieds de champignons, ce qui permettait de voir à quelques pas devant soi.

— Où es-tu ? lança Henry.

« Es-tu, tu, uuu », chantonna l’écho.

— Devant toi, légèrement sur ta droite, répondit Flipflop. Je flotte. Essaie de ne pas me marcher dessus.

— T’es… t’es sûr que tu connais la sortie ?

— Presque. J’ai le sens de l’orientation. Et une bonne mémoire des cartes. Entre les cabinets de toilette, les salles de bains, les commodités privées de la famille royale et les lieux d’aisances des domestiques, ce ne sont pas les sorties qui manquent ! Et si on les rate, on débouche sur le fleuve, où les tuyaux des égouts parviennent. Sans doute la meilleure sortie, d’ailleurs. Tu sais nager ?

— Pas très bien, avoua le garçon.

— Hum, ça pourrait être un problème. Surtout avant qu’on n’atteigne le fleuve.

— Avant ? Mais pourquoi ?

— Les responsables des égouts inondent le cloaque toutes les seize heures. Ils appellent ça « tirer la grande chasse ». Ils envoient dix millions de gallons d’eau recyclée à très haute pression. Même les nageurs expérimentés auraient du mal à survivre face à un flot aussi puissant et abondant. En fait, je crois que personne n’y a jamais survécu.

— Bon, dit Henry avec un semblant d’optimisme, j’espère qu’on ne mettra pas seize heures à sortir d’ici.

— Et moi, répondit l’endolg, j’espère que ça ne fait pas quinze heures trois quarts qu’ils ont tiré la chasse.

L'Empereur pourpre
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