11
Au matin, le Gardien n’était pas de retour.
Bleu trouva Pyrgus qui faisait les cent pas, furieux, devant sa loge.
— Tu sais où il est ? demanda aussitôt l’Empereur héritier.
— Comment je le saurais ? rétorqua sa sœur. C’est à toi qu’il a parlé avant de partir. Quand était-il censé être de retour ?
— À l’aube. Depuis des heures, donc…
Ses yeux étaient cernés, comme s’il avait veillé toute la nuit. « Bizarre, pensa Bleu. Il n’est pas allé se coucher si tard que ça ! »
— Peut-être que son valet ou son intendant sont au courant, suggéra la Princesse.
— Il n’a pas de valet. Ni d’intendant. Il ne veut personne chez lui. Pas confiance. Tu le connais. Et je ne peux même pas pénétrer chez lui avec mon Passe impérial : il a trifouillé ses serrures pour m’en empêcher.
Le logement du Gardien était constitué d’un ensemble de petites tourelles surmontées de flèches, à un jet de pierre du Palais pourpre, et cependant séparé de lui. Il se dressait sur l’île, à l’orée de la forêt, là où Apatura Iris, le dernier Empereur pourpre, avait aimé chasser le sanglier.
Songeur, Pyrgus scrutait la forêt, à présent.
— Ses « affaires personnelles » ont dû prendre plus longtemps qu’il ne l’avait imaginé, suggéra Bleu.
— Mme Cardui…
— Oui ?
— Qu’est-ce qu’elle t’a dit, exactement ?
— Qu’un membre de la famille royale était en danger.
— De la famille ou de la maison royale ?
— De… de la Maison royale.
— Tu es sûre ?
— Oui. Tu as raison, elle a dit de la maison royale. J’en suis certaine. Pourquoi ?
Pyrgus posa son regard sur elle :
— Parce que la famille royale, c’est toi, c’est Comma, c’est moi – les options sont limitées. Mais s’il s’agit de la maison royale, cela inclut les familles des nobles à notre service, ainsi que les hauts dignitaires.
— Dont M. Fogarty…
— Exactement.
— Tu ne crois quand même pas que…
La jeune fille s’interrompit. Un prêtre arrivait du palais en courant. Mauvais signe. Un prêtre qui court annonce forcément une mauvaise nouvelle. Bleu était bien placée pour le savoir.
Du coin de l’œil, elle perçut des mouvements dans les buissons proches. Pas de doute, les mesures de sécurité avaient été renforcées ; mais les gardes cachés avaient dû reconnaître le prêtre : ils restèrent à l’abri des regards.
À son tour, Bleu reconnut l’homme : c’était Épine, membre de la Dentaria – le plus ancien Ordre funéraire du Royaume. C’est lui qui était chargé de veiller sur le corps de l’Empereur et de prier pour lui jusqu’à ce que Pyrgus fût couronné.
À bout de souffle, il s’écroula à genoux devant Pyrgus. Il n’était plus tout jeune, et il lui fallut un moment avant qu’il ne reprît son souffle. Alors, il réussit à articuler :
— Majesté… Votre Sérénité… L’Empereur… Votre père a… Oh, Majesté, son corps a disparu !