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À l’extérieur de l’ouklo, c’était la guerre.
Un détachement de soldats en uniformes verts était aux prises avec l’escorte des exilés. Des éclairs elfiques zébraient l’air, bourdonnant comme un essaim d’abeilles en furie. Pyrgus s’aplatit contre la paroi de l’ouklo, lancé à pleine vitesse. Puis il tira sur ses bras et se hissa sur le capot en veillant à garder la tête baissée.
La cabine du convoyeur, ornée avec luxe, située à l’avant, était pourvue de deux ailes d’apparat qui empêchaient le chauffeur de voir Pyrgus monter vers lui. Mais, problème : ces ailes étaient renforcées en argent adamantin(vi), de sorte que l’homme ne pouvait être affronté que de face. Le Prince devrait escalader la cabine avant de retomber à côté du conducteur et de l’éjecter de l’ouklo aussitôt en profitant de l’effet de surprise. Pyrgus ne voulait pas tuer un domestique du palais qui ne faisait que son devoir… même s’il se doutait que ses scrupules n’allaient pas lui faciliter la tâche, déjà passablement compliquée.
Un éclair elfique lui coûta la peau d’un lobe d’oreille. Serrant les dents, Pyrgus bondit. Rester exposé sans défense n’arrangerait rien. Plié en deux, il courut et sauta sur le toit de la cabine.
À main droite, il avisa un Gardien engagé dans un combat sans merci contre un agresseur propulsé par un disque volant. Mis en difficulté, le Gardien recula contre l’ouklo qui fit un écart par réflexe : son sortilège anti-agression était entré en action. Pyrgus crut qu’il allait être désarçonné. Il réussit à se retenir d’extrême justesse et bascula d’un même mouvement dans la cabine. Il se mit aussitôt en garde.
Inutile. Le chauffeur ne bougea pas. Il avait les yeux grands ouverts. Un filet de sang s’échappait de sa bouche, côté gauche.
Pas de blessure apparente. Juste un rictus stupéfait. Et une immobilité absolue.
Pyrgus mit un moment à comprendre qu’il ne pouvait rien pour le convoyeur. L’homme était mort, et bien mort. Le Prince le saisit par les bras pour prendre sa place et dégager l’ouklo de la zone de combat. Mais la tête du cadavre semblait collée au siège.
Un éclair elfique ! L’engin de mort était passé par l’arrière et avait frappé l’homme par la nuque. C’était la seule explication logique. Pourtant, les éclairs elfiques – aucun projectile d’aucune sorte – n’auraient pas dû franchir l’argent adamantin. Il y avait de la sorcellerie dans l’air… Pyrgus murmura une vague excuse, puis tira sur les épaules du défunt.
Il craignit de décapiter le chauffeur ; cependant, l’éclair elfique céda le premier, et le Prince jeta ensemble le corps et l’arme accrochée derrière la tête. Puis il prit la place du mort et regarda devant lui.
Il n’y avait pas de levier de commandes. L’ouklo répondait aux ordres lancés par celui qui s’installait sur le siège du conducteur. À condition de lui donner au préalable le mot de passe.
Par chance, tous les ouklos impériaux répondaient à la même commande. Pyrgus la connaissait. C’était le prénom de son grand-père paternel, un empereur jadis adoré de ses sujets.
— Dispar ! lança donc le Prince à mi-voix. Et tourne à droite !
L’ouklo ne réagit pas.
— DISPAR ! répéta Pyrgus plus fort.
Rien.
Comma avait changé le mot de passe.