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M. Fogarty sortait de sa salle de bains quand on frappa à la porte de son logement de fonction.

Il se figea. Personne ne pouvait arriver ici sans alerter les systèmes de sécurité. Des gardes protégeaient le Gardien. Pyrgus l’avait exigé. Mais même si un intrus avait franchi ce premier barrage, les pièges que M. Fogarty avait disposés auraient dû l’alerter bien avant. Et pourtant, quelqu’un avait passé ces deux filtres… pour finir par frapper chez lui, au milieu de la nuit.

Le Gardien se rendit dans la salle vidéo qu’il avait installée dans son salon. L’écran connecté à la caméra fixant la périphérie de la villa ne montrait rien – sinon, çà et là, les ombres vert foncé et rassurantes des soldats en faction. Rien non plus sur l’écran scrutant le ras du sol : quelques renards et des lapins – ou, du moins, les animaux féeriques qui ressemblaient le plus aux renards et aux lapins. Rien d’inquiétant. Donc il ne s’agissait pas d’une invasion en nombre.

Restait la caméra vidéo fixée sur le porche d’entrée. Le troisième écran montrait une haute silhouette masquée par une capuche. Un poing fermé s’apprêtait à frapper derechef. Pas d’arme apparente, même si le manteau pouvait dissimuler tout un attirail. L’inconnu était seul. Tant mieux. Mais il avait réussi à passer à travers les mailles du filet de sécurité. Or, c’était impossible. Personne – au sens de : strictement personne – n’était censé parvenir jusque-là sans être annoncé.

M. Fogarty réfléchissait au plus vite. Les assassins avaient-ils lancé leur attaque ? D’après Bleu, leur cible était Pyrgus. Logique. Sauf que Mme Cardui parlait d’un membre de la maison royale. Ce qui incluait l’Empereur héritier, ainsi que la Princesse et une douzaine d’intendants, de conseillers et de dignitaires haut placés. Dont lui.

Le Gardien fronça les sourcils, sceptique. À sa connaissance, les tueurs n’attendaient pas qu’on leur ouvrît pour régler son compte à leur victime. Ils se glissaient par une fenêtre entrouverte, une cheminée ou une porte préalablement forcée. Dans le Royaume, ils pouvaient aussi se servir d’un sortilège de transformation pour déguiser leur apparence, prendre celle d’un ami ou d’un quidam inoffensif. L’hurluberlu qui attendait à l’extérieur, lui, ressemblait à un assassin. La capuche lui dissimulait le visage ; le manteau laissait présager de mauvaises surprises.

Deux possibilités, dès lors :

1) ou bien ce n’était pas un assassin ;

2) ou bien c’était un assassin supérieurement intelligent, qui avait décidé de ressembler à un assassin parce que personne ne penserait qu’un assassin ferait l’effort de ressembler à un assassin pour qu’on pense qu’il n’était pas un assassin.

« Trop compliqué », conclut M. Fogarty, qui s’empara de sa batte de cricket.

Il eût préféré prendre son fusil ; mais depuis qu’il s’en était servi pour tuer l’Empereur pourpre, il jugeait préférable de ne pas l’utiliser – il ne pourrait pas toujours expliquer qu’un démon l’avait possédé et obligé à tirer. Une batte, au moins, ne tue personne quand on sait la manier ; et elle peut servir à briser les doigts de l’agresseur, pour délier sa langue une fois qu’il a été maîtrisé.

L’interrogatoire était essentiel. Car l’agresseur avait des chances d’être envoyé par quelqu’un, et un bon interrogatoire permet parfois de remonter jusqu’au commanditaire.

Son arme prête à l’emploi, le Gardien ouvrit la porte.

— Bonsoir, Alan ! lança Mme Cardui sur le seuil. Je crois que, à notre âge, on peut se dispenser des politesses, non ?

Puis, entrant dans la maison et avisant la batte, elle s’exclama :

— Oh, chic ! On fait un match ?

L'Empereur pourpre
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