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— On est coincés, grommela Pyrgus.
— Oh, déjà ? s’étonna Comma, presque guilleret.
S’il avait compris la gravité de la situation, l’Empereur héritier ne le montrait pas le moins du monde.
— On ne peut pas continuer dans ce sens, déclara Nymphalis en posant son regard sur lui. Certains d’entre nous ne seraient pas capables de franchir ce trou. Mais on ne peut pas non plus continuer de l’autre côté…
— Pourquoi pas ? demanda Bleu.
— Il y a un champ de force, tu te souviens ? Ziczac l’avait décelé. C’est pour cela qu’il avait décidé de passer par ici.
— Justement.
— Comment ça, « justement » ?
— Suivez-moi !
La Princesse conduisit le commando d’où il venait… et plus loin dans la même direction. Aucune opposition. Aucun champ de force. Nymphe l’observait sans comprendre ce tour de passe-passe : par quel miracle avaient-ils réussi à franchir une barrière qui avait repoussé un ingénieur magicien de la trempe de Ziczac ?
— Nous sommes dans un labyrinthe obsidional, rappela Bleu. Et vous venez d’en avoir une illustration. Le champ de force – dont Ziczac avait remarqué qu’il n’était pas infranchissable – n’était qu’un attrape-nigaud destiné à nous faire partir dans l’autre sens. Un piège classique. Quand on rencontre un obstacle, la réaction logique consiste à repartir vers le côté opposé… où un mécanisme fatal est prêt à se déclencher au premier passage.
— Pourquoi ne pas l’avoir dit avant ? s’exclama la soldate de la Forêt. Ziczac serait en vie !
— Je ne savais pas que nous étions dans un labyrinthe obsidional. Crois-moi, je tenais autant que toi à ce que Ziczac nous accompagne.
— « Autant que moi » ? Qu’est-ce que tu en sais ? Tu ne le connaissais même pas !
La Princesse haussa les épaules :
— Je n’en sais rien, tu as raison. On ne fait pas un concours…
— Bleu, intervint Pyrgus, tu es sûre que, par là, nous ne risquons pas de déclencher le même genre de piège que celui dont Ziczac a été victime ?
— Je suis sûre du contraire.
— Alors, on est cuits ?
— Pas forcément. Ce jeu a des règles. Le joueur doit avoir une chance de survivre. Ça maintient un intérêt. En partant vers le piège fatal, Ziczac avait signé son arrêt de mort.
— Lord Noctifer a pu changer les règles, fit observer le Prince.
— C’est possible, reconnut sa sœur. Il ne m’a pas envoyé un messager pour me promettre qu’il avait respecté le principe du labyrinthe. Mais le coup du champ de force dissuasif, c’est typique d’un vrai labyrinthe obsidional. En plus, quand Black veut simplement tuer quelqu’un, il connaît des méthodes plus radicales. Un labyrinthe a une autre fonction. S’il s’est fait construire un jeu pareil, il en a sans doute respecté les principes de base. Et puis…
— Et puis quoi ?
— Et puis on n’a pas le choix. Donc, en avant !
— Qu’en penses-tu, Prince ? demanda Nymphe par pure provocation.
La tension entre les deux jeunes filles était plus que perceptible. Pyrgus ne voulait être désagréable ni avec sa sœur ni avec la soldate. Il devait mobiliser sa troupe et créer un sentiment de solidarité entre eux. Sans quoi, leur expédition risquait de faire long feu.
— Écoutez, dit-il, on est ensemble dans cette aventure. Ensemble. Chacun a ses compétences et ses limites. Tâchons de les accepter. Nous avons déjà perdu un homme remarquable parce que nous ignorions où nous avions atterri. Maintenant, nous le savons. Et la situation ne me semble pas désespérée, car nous avons des atouts. Le plus grand atout, le voici : nous formons une équipe. Ces labyrinthes se jouent seuls, en général. Si nous avançons ensemble, si nous réfléchissons ensemble, si nous nous soutenons les uns les autres, nous franchirons cet obstacle, je vous le garantis.
Il se tourna vers les deux soldats de la Forêt :
— Comment vous appelez-vous ?
— Ochlodes.
— Palaemon.
— Ochlodes et Palaemon, vous avez eu l’occasion de prouver que vous étiez des combattants aguerris et courageux. Nous serons peut-être appelés à combattre d’ici à ce que nous sortions du labyrinthe, mais je vous incite à réfléchir encore plus que d’habitude. J’ai le sentiment que votre tête vous sera davantage utile que vos muscles.
Il fixa Nymphe, Bleu et Comma.
— Cela vaut pour vous aussi… et pour moi, ajouta-t-il. Il faut penser avant d’agir. Être attentif à chaque bizarrerie. Progresser lentement. Ne jamais se fier aux apparences. Anticiper. Et…
— … nous disperser, compléta Holly Bleu.
Pyrgus fronça les sourcils.
— En restant groupés, expliqua la Princesse, nous risquons de tomber en même temps dans le même piège. Mieux vaut nous éloigner un peu. Comme ça, nous pourrons aider ceux qui en auront besoin.
— Si ça vaut encore la peine, précisa Comma.
Sa demi-sœur le foudroya du regard. Puis les joueurs s’espacèrent autant qu’ils le pouvaient sur la largeur du couloir. Ils progressèrent dans le labyrinthe, les sens aux aguets. Une minute ne s’était pas écoulée quand Palaemon marcha sur une brindille.
Une lame jaillit de la paroi. Le soldat bondit. L’acier tranchant lui arracha un bout du lobe de l’oreille gauche. Le sang se mit à couler en abondance. Mais c’était un détail : sans ses réflexes innés propres aux Fées de la Forêt, Palaemon aurait été décapité.