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L’arbre ne ressemblait à aucun autre. Il avait un tronc énorme – digne d’un très vieux chêne ; et cependant, ses branches étaient frêles et imbriquées, à la manière d’un écheveau de laine en bataille.
M. Fogarty en fit deux fois le tour et ne repéra aucune ouverture. Sans doute la faute d’un sortilège d’illusion. Ou pas. Car le Gardien savait que si, à l’œil nu, le monde semble plein, au niveau microscopique, en revanche, la matière est essentiellement constituée de vide avec, çà et là, quelques atomes. La seule chose qui nous empêche de passer à travers notre siège quand nous nous asseyons dessus, c’est un champ de force électrique.
Peut-être que ces gens avaient trafiqué le champ de force du tronc, de manière à permettre aux soldats d’entrer dedans. Mais cela expliquait comment. Pas pourquoi. Or, pourquoi quelqu’un de sensé voudrait-il entrer dans un arbre ?
— À vous ! lança un soldat en uniforme vert au vieil homme.
Celui-ci s’engagea sans hésiter. La curiosité le titillait trop ! Il s’avança d’un pas vif vers l’endroit qu’on lui avait indiqué dans le tronc massif. L’atteignit. En sentit la rugueuse solidité. Et, néanmoins, passa au travers avec l’impression encore plus curieuse de franchir l’obstacle de biais.
Il se retrouva dans un tuyau en métal assez large pour qu’il pût étendre ses bras sans toucher les extrémités supérieures du cylindre. « Glissement dimensionnel, supposa M. Fogarty. Pas énorme. Juste ce qu’il faut pour laisser l’arbre intact. Quelle technologie fascinante ! » Ces inconnus étaient beaucoup plus sophistiqués que leur apparence ne le laissait imaginer !
Le vieil homme découvrit qu’il flottait. « Sortilèges de lévitation », comprit-il. Bientôt, il déboucha sur une vaste surface en bois, située dans les hauteurs des branchages. Le jeune soldat qui l’avait devancé – la jeune soldats, corrigea M. Fogarty, étonné – lui tendit la main pour l’aider à retrouver son équilibre.
Et l’ex-Gardien n’en crut pas ses yeux.
Devant lui s’étendait un système complet de routes qui surplombait la canopée(vii). L’ensemble était invisible du sol. Mais, de là-haut, on voyait ces infrastructures serpenter entre les arbres. Les plus grandes artères étaient larges comme des autoroutes. Des sortes de nationales les desservaient, partaient de zones de chargement et de parking, et reliaient entre eux des avenues, des rues et de simples chemins. L’ensemble paraissait immense. Suffisant pour qu’une armée y manœuvre. C’était un travail d’ingénierie colossal, construit avec un mélange de bois, de métal… et d’une autre matière que M. Fogarty n’avait jamais rencontrée auparavant.
Bleu observait le panorama avec une nonchalance et un détachement très étudiés. Mme Cardui et Pyrgus émergèrent quelques instants plus tard.
— Vous connaissiez cet endroit ? demanda l’ex-Gardien à la Femme peinte.
— Oh, oui ! Depuis un bout de temps…
— Vous ne m’en aviez jamais parlé, signala Holly Bleu, une pointe de reproche dans la voix.
— Tu n’avais pas besoin d’être au courant, ma chèèère, rétorqua Cynthia. Et puis, à mon âge, il faut toujours garder un petit secret. Ça rassure d’en savoir davantage, vois-tu…
M. Fogarty n’était pas certain que la Princesse fût d’accord avec son informatrice. Mais lui l’était.
— Qui sont ces gens ? s’enquit-il.
— On les surnomme les Fées sauvages.
— « Sauvages » ?
— Oui, on a longtemps cru que les habitants des bois étaient peu évolués. On les prenait – et on les prend encore – pour des aborigènes primitifs. En réalité, ce sont les rois du camouflage ! Ils ont leur propre culture, leur propre structure sociale, leur propre système de gouvernement, leurs propres forces d’autodéfense…
— Et ils sont plutôt Fées de la Nuit, ou Fées de la Lumière ?
— La distinction ne s’applique pas chez les Fées de la Forêt. Ils ne font allégeance à personne. Désolée, Pyrgus…
Le Prince était en extase :
— Ces routes, c’est extraordinaire… Pour une armée, impeccable !
M. Fogarty sourit en entendant sa pensée dans la bouche du jeune homme.
— À quoi ressemblent leurs villes ? s’enquit l’ex-Gardien.
— Ils n’en ont pas, expliqua Mme Cardui. Ce sont des nomades. Ils ne supporteraient pas de vivre dans des cités comme les nôtres. Ils se regroupent en petites communautés et résident dans les arbres.
Un soldat en uniforme s’approcha de la Femme peinte et lui murmura quelques mots à l’oreille.
— On nous attend, mes cheeers, annonça-t-elle.
— Qui ça, « on » ? s’inquiéta M. Fogarty.
— La Reine, bien sûr !