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« Mais dis-lui non ! répétait Cyril, paniqué. Mais dis-lui donc N-O-N ! »
Sa supplique était superflue. Blafardos était aussi affolé que lui.
— Non, criait-il, je veux pas, j’ai dit non, jamais, laissez-moi tranquille, me touchez pas avec vos sales mains, je suis pas d’accord, vous avez entendu, pas-d’ac-cord, je suis sérieux, on arrête de jouer, lâchez-moi, vous ne pouvez pas m’obliger à me faire opérer contre mon gré…
— Si, répondit simplement Noctifer.
L’homme observait cette crise de panique avec un amusement grandissant. Quand il en eut assez, il fit signe à deux solides gaillards en uniforme noir, qui maîtrisèrent Blafardos et lui tinrent les bras dans le dos.
« Combats-les ! insista Cyril. Te laisse pas humilier si vite. Je vais t’aider à leur démonter la face ! »
« La ferme ! lui intima Blafardos. Je ne nous sortirai jamais de là si tu ne te tais pas sur-le-champ ! »
Incroyable : le vyr se tut. Passé un instant de surprise, Blafardos envisagea les scénarios qui s’offraient à lui. Aucun de ceux qui lui sauvaient la peau n’était réalisable. Il n’y avait que deux possibilités :
1) se laisser entraîner comme un agneau sacrificiel et subir l’opération mortelle ;
2) gigoter et crier jusqu’à ce que les gardes l’assomment et l’entraînent sur le billard.
Dans les deux cas, il allait y passer. Et vite.
Lord Noctifer paraissait étonné :
— Pourquoi t’excites-tu soudain, mon bon Jasper ? Il s’agit d’une procédure fort simple…
— … qui va me tuer ! compléta Blafardos.
Black le terrifiait toujours, peut-être même plus que jamais. Cependant, Jasper était assez désespéré pour oser être insolent.
— « Qui va te tuer » ? répéta Noctifer en fronçant un sourcil. D’où tires-tu cela ?
Blafardos s’arrêta de trembler presque immédiatement.
La phrase de son maître avait fait tilt en lui. Black avait raison. Il tenait cette information du wangaramas. Lequel avait failli à plusieurs reprises par le passé. Peut-être Jasper s’était-il laissé influencer par l’état de dégradation de l’Empereur pourpre, et par l’ambiance peu accueillante de la « salle d’attente ». En réalité, peut-être l’opération n’était-elle pas très dangereuse. Peut-être Noctifer ne souhaitait-il pas sa mort. Et peut-être l’humble serviteur qu’il était disposait-il d’une bonne stratégie pour trouver grâce aux yeux de son seigneur, s’il acceptait de passer au bloc sans plus de protestations.
C’était un scénario qu’il n’avait pas envisagé jusque-là. Un scénario improbable qui avait une qualité appréciable : lui laisser un peu d’espoir. Et Blafardos en avait besoin. Depuis que le vyr l’avait persuadé de devenir l’Empereur pourpre, Jasper sentait qu’il dévalait une pente vertigineuse, et il n’avait qu’une envie : s’accrocher au premier arbre venu, même par le bout du petit doigt, avant de basculer au fond du précipice.
« Tu te trompes ! affirma Cyril avec force. Il va te tuer ! Tu n’as pas le droit d’abandonner maintenant ! Tant d’efforts pour mour…»
— Vous avez raison, Votre Seigneurie, dit Blafardos à voix haute. Si je peux vous être utile avec cette opération, je serai ravi qu’il en soit ainsi.
Les gardes jetèrent un coup d’œil à Black, qui opina. Ils lâchèrent les mains de leur prisonnier.
« NON ! NON ! NON ! NON ! NON ! » protesta le wangaramas.
Mais c’est de son plein gré que Jasper gagna la sortie d’un pas vif, presque triomphal.