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Le Vieux Donjon, Pyrgus connaissait. Depuis longtemps. Il y était venu quand il avait quatre ans. Et il n’avait pas oublié cette expérience traumatisante.
Lors de cette visite mémorable où il avait accompagné son père, il avait éclaté en sanglots. Apatura avait mis longtemps à le consoler. Lorsqu’il avait demandé à son fils ce qui l’avait tant effrayé, Pyrgus avait répondu : « Les fantômes. »
L’endroit n’avait pas changé. Il paraissait toujours hanté. Pyrgus se trouvait au milieu d’une pièce immense, protégée par des murs en rocs massifs. Les autres membres du commando ne s’étaient pas encore matérialisés.
Dans cette partie du Vieux Donjon, les salles étaient si énormes que les un peu moins énormes rayonnages destinés à stocker les vivres paraissaient minuscules. La lumière était rare. La pierre grise absorbait les rayons qui filtraient de minces soupiraux encrassés. L’espace avait été aménagé comme nulle part ailleurs dans le palais : des plate-formes se superposaient tous les dix mètres, réunies entre elles par des escaliers aux marches étroites. L’ensemble donnait l’impression d’avoir affaire à un labyrinthe en trois dimensions.
Bleu émergea du mur. Elle regarda autour d’elle et frissonna.
— Tu n’étais jamais venue ? lui demanda Pyrgus.
— Non. Toi, tu sais comment on sort ?
— Je ne suis pas sûr. Ça fait un bail que je n’avais pas mis les pieds ici.
Les trois soldats de la Forêt émergèrent à leur tour, les sens aux aguets, prêts à parer à toute attaque.
Puis Ziczac sortit de la muraille. Il observa la pièce immense, un sourire amusé sur le visage.
— Délicieusement archaïque, lâcha-t-il. C’est fascinant… Je n’avais jamais vu cela !
— Vous pouvez nous conduire au cœur du palais, Prince ? s’enquit Nymphe.
— Je crois. Les portes seront sans doute fermées, car il y a des réserves. En théorie, les sortilèges de serrure à reconnaissance automatisée devraient me reconnaître. Je ne pense pas que Noctifer se soit déjà attaché à les modifier. De toute façon, s’il y a un souci, Ziczac nous fera passer la porte, non ?
— Pas forcément, intervint l’intéressé.
— Pardon ?
— Je m’explique : nous ne pouvons passer qu’à travers des surfaces épaisses.
— Donc si on voulait franchir un mur trop fin ou une porte pas assez grosse…
— On en mourrait sur-le-champ, compléta l’ingénieur.
Pyrgus grimaça :
— Absurde !
— Ah, je suis content que vous soyez d’accord avec moi ! J’ai du mal à comprendre le phénomène. Non, d’ailleurs, je ne le comprends pas du tout. Mais le principe est clair : il faut traverser des surfaces plus importantes que soi-même. Les murs extérieurs de ce donjon sont gigantesques. Je n’ai aucune inquiétude à leur sujet : c’est une vieille tradition. Par contre, les murs qui donnent sur le palais, je ne suis pas certain qu’ils aient suivi les mêmes principes de construction.
— En cas d’urgence, nous pourrions tenter le coup ? demanda Holly Bleu.
— Bien sûr. Au risque de rester coincés dans la paroi.
— Pour toujours ?
— Oui, dit Ziczac. Mais c’est surtout la première minute qui est ennuyeuse.
— Pourquoi ?
— Parce que, après, on s’en fiche, vu qu’on est mort.