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Henry ne resterait pas une minute de plus que nécessaire dans cette puanteur. Il avait eu une chance incroyable de survivre à la grande chasse d’eau. Pas la peine de tenter le diable deux fois. En plus, il avait eu beau s’habituer à l’odeur, elle imprégnait ses vêtements et continuait de lui donner la nausée lorsque, par mégarde, il inspirait trop fort sans mettre la main devant le nez.
Bien sûr, pour s’en sortir, il devrait affronter le fleuve. Pour un nageur de baignoire, ce n’était pas très rassurant. Mais il n’allait pas passer sa vie à éviter les vagues rugissantes toutes les seize heures. Il devait trouver le chemin de la liberté. Il allait longer le conduit principal. Soit il dénichait un tuyau latéral qui lui permettait d’éviter d’affronter le fleuve en lui offrant une autre voie de sortie ; soit il irait jusqu’au bout, et qui vivrait verrait.
Il examina les trois premiers coudes qui se présentèrent à lui. En vain. L’un d’eux se terminait sur un tuyau si serré qu’il dut ramper pour tenter de s’en extraire. Hélas, comme les précédents, il débouchait sur une grille solidement fixée.
Il hésita à prendre la quatrième bifurcation. Elle semblait mener à une impasse. Henry leva la tête, surpris : à quoi pouvait bien servir ce crochet ? C’est alors qu’il aperçut les tuyaux qui couraient au plafond. Aucun n’était assez grand pour qu’il y glissât ne serait-ce que le bras.
Il commençait à accepter l’idée qu’il allait être obligé de se jeter dans le fleuve lorsqu’il aperçut une pâle lumière sur sa droite. Un instant, il se demanda s’il ne s’agissait pas de champignons. Mais la lumière n’était pas un halo vert. C’était la clarté bleue et blanche d’un ciel ensoleillé où couraient quelques nuages.
Il s’approcha. Avisa un tunnel. Qui se dirigeait vers la lumière. La joie l’inonda. Une joie irrationnelle. À présent, il se moquait de sortir. Il avait revu la lumière du jour. Il avait survécu. Il était vivant. Et il venait de trouver une trappe servant sans doute aux égoutiers pour leurs inspections.
Henry la regarda, se frotta les yeux puis vérifia si la trappe était toujours là. Eh oui ! Il ne l’avait pas imaginée. Elle était bien là. Le garçon n’avait jamais été très religieux ; et pourtant, à cet instant-là, il pria. L’occasion était trop belle. La grille métallique était fixée au plafond. Elle ne paraissait pas rouillée. Une volée de marches en pierre permettait de l’atteindre sans sauter. Henry n’aurait aucun mal à l’ouvrir.
Il se précipita vers l’escalier. Au sommet, il s’arrêta sur la petite plate-forme d’observation. Il allait quitter cet enfer aux émanations épouvantables. Il avait échappé aux rats de la taille des chevaux. À la grande chasse tueuse. Au labyrinthe des couloirs sans fin. Et au fleuve qui l’effrayait tant. La vie était belle.
Ou presque : au moment d’ouvrir la grille, il avisa une petite boîte. L’équivalent, dans le Royaume, des serrures du Monde analogue. Ces saletés disposaient en général d’une charge magique pour empêcher de forcer les portes. Henry ignorait comment désamorcer ce dernier obstacle. Puis il décida que, avec la chance qu’il avait depuis un moment, cela n’avait aucune importance.
Il agrippa la grille et la repoussa. Elle céda. Soit on l’avait laissée ouverte par mégarde, soit elle était cassée. Peu importait. Quelqu’un avait entendu la prière silencieuse de Henry. Il était libre. Libre. Définitivement liiiiibre !