49
— Ça ne s’est pas passé comme tu crois, Comma, affirma M. Fogarty.
Il se tourna vers Pyrgus. Mais le Prince fut incapable d’expliquer à son demi-frère que son père n’était pas vivant ; que le corps qu’il avait vu n’était qu’une coquille vide manipulée par une ignoble Fée de la Nuit.
— Lord Noctifer te ment, dit Holly Bleu.
— Tu veux dire que Papa est mort ?
— Pas… pas tout à fait.
— Donc il est vivant !
— Pas tout à fait non plus…
Comma ricana, le regard rageur :
— Alors, voilà votre trouvaille ! Vous voulez me faire croire qu’on peut être un peu mort ou un peu vivant ? Raté ! Ou on est mort, ou on est vivant, y a pas trente-six solutions – y en a que deux. Tu sais, Bleu, je croyais que tu étais moins mauvaise que Pyrgus. Mais t’es pareille que lui. Tu espérais me cacher que Papa était en vie parce que tu avais peur que je devienne Empereur. Raté. Pyrgus et toi n’êtes plus mes amis. D’ailleurs, vous ne l’avez jamais été. M’en fiche, j’en ai pas besoin. Lord Noctifer va vous remplacer. En mieux.
— Noctifer n’est pas ton ami, intervint M. Fogarty.
— Ah oui ? Et qu’est-ce que vous en savez ?
— Noctifer n’est l’ami de personne.
— Hé, si, Monsieur Je-sais-tout ! Regardez !
Il tira de son gilet un rouleau de parchemin semblable à celui qu’avait exhibé le duc de Burgonde. Pyrgus le prit et le déroula, bien qu’il sût ce qu’il contenait. Il fixa son demi-frère un moment, puis baissa les yeux sur le document. Son intuition avait vu juste.
— Qu’est-ce que c’est ? demanda Bleu.
— Une Ordonnance officielle désignant Comma comme prochain Empereur pourpre, et Lord Noctifer comme régent jusqu’à ce que Comma ait l’âge de gouverner.
— Le chien ! s’exclama M. Fogarty.
— Et vous avez vu qui a signé ? insista Comma. Dis-le-leur, Pyrgus ! Dis-leur qui a signé !
— Papa.
— Ha-ha ! Qu’est-ce que j’avais dit ? Et inutile de déchirer le parchemin, j’en ai plein de copies, et Lord Noctifer aussi…
Pyrgus laissa tomber le rouleau.
— Comma, Papa ne sait pas ce qu’il signe, murmura Bleu. Lord Noctifer se moque de toi. Il veut juste devenir régent.
— Il m’avait prévenu que vous objecteriez ça, rétorqua son demi-frère. Et aussi que vous essaieriez de m’empêcher de devenir Empereur. Mais tu as compris que ce n’est pas la peine, hein, Pyrgus ?
— Je…
— Général Ovard !
La porte s’ouvrit. Le général, en uniforme d’apparat, entra dans la salle, accompagné d’un régiment de gardes du palais. L’officier paraissait peiné et, cependant, déterminé à exécuter les ordres. Quels qu’ils soient.
— Ils ne veulent pas que je devienne Empereur ! se lamenta Comma en tapant du pied. Je leur ai montré l’Ordonnance, et Pyrgus l’a jetée par terre !
— Prince Pyrgus, l’Ordonnance est légale. Signée par votre père, et frappée du sceau impérial.
— C’est un complot de Noctifer ! siffla M. Fogarty.
— Je n’aime pas beaucoup ce passage de l’Ordonnance, moi non plus, Gardien. Mais j’ai juré d’obéir aux ordres de l’Empereur pourpre, et je ne me dédirai pas de mon serment.
— L’Empereur pourpre est mort, Ovard. M-o-r-t. Vous avez vu le corps.
— J’ai vu son corps immobile. Était-il mort ou vivant ? Ce n’est pas de ma compétence. Par contre, il avait l’air tout ce qu’il y a de vivant quand il m’a tendu l’Ordonnance.
— Il est encore au palais ? s’exclama Bleu.
— Il est venu aux baraquements, Sérénité. Lord Noctifer était avec lui. J’ignore où ils sont à l’heure où je vous parle ; en revanche, je sais que l’Ordonnance est valide.
— ASSEZ PARLÉ ! glapit Comma. Maintenant, c’est moi qui commande, alors écoutez ce que j’ai décidé !
Les soldats se mirent en position derrière Ovard tandis que le garçon boudiné lançait :
— Voici ma première proclamation, en tant qu’Empereur héritier. Lord Noctifer m’a dit : « Si les usurpateurs montrent de la mauvaise volonté, fourre-les en prison et exécute-les. » Mais je serai clément. Tu es mon demi-frère, Pyrgus ; et toi, Bleu, ma demi-sœur. Même traîtres, vous êtes ma famille. Donc je vais vous épargner. Cela étant, je ne veux pas prendre de risques. Si vous restez dans mes pattes, vous allez m’embêter. C’est pourquoi je vous envoie en exil. Tous : Pyrgus, Bleu, et vous aussi, Gardien. Je vous donne une demi-heure pour prendre vos affaires et quitter le palais. Général Ovard, vous veillerez à ce qu’il en aille ainsi !
Sur ces mots, il rejeta la tête en arrière et sortit de la pièce d’une démarche qui se voulait impériale.
Un silence de plomb retomba.
Puis M. Fogarty demanda :
— Il ne peut pas faire ça, n’est-ce pas, général ?
— Il faut croire que si, Gardien. Il vient de vous le prouver…