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Holly Bleu regardait Hamearis avancer d’une démarche lente, presque insultante. L’homme semblait plutôt se promener qu’être reçu par la plus haute autorité du Royaume, l’Empereur héritier en personne. Mais la Princesse voyait clair dans son jeu. Ses informateurs l’avaient depuis longtemps convaincue : Hamearis Lucina était un diplomate hors pair et un roi de la manipulation psychologique. En face à face, l’homme pouvait se révéler encore plus redoutable que Lord Noctifer en personne.
Aussi, quand son frère l’avait réveillée, s’était-elle préparée à l’entrevue. Pas assez. Car les récits et les images du duc restaient très en deçà de la réalité. Son corps était puissamment musclé. Cependant, à son corps de guerrier, il ajoutait un physique de héros : son visage était doux, sensible, distingué ; et sa prestance contribuait pour beaucoup à la popularité considérable des Fées de la Nuit.
L’homme arriva devant les trônes et s’inclina :
— Je vous salue, ô Prince Pyrgus !
« Prince, nota aussitôt Bleu. Pas Empereur héritier. Les hostilités sont lancées…»
— Soyez remercié de m’accorder une audience à une heure aussi avancée de la nuit, poursuivit-il.
Puis il pivota et posa ses yeux jaunes de haniel sur Bleu :
— Mes hommages, Votre Altesse Sérénissime.
Bleu inclina la tête d’un millimètre. Son frère avait eu raison de l’inviter à assister à l’entrevue. Hamearis était très séduisant, mais il était aussi dangereux qu’une vipère et aussi sournois qu’un rat.
— Il est tard, en effet, déclara Pyrgus d’un ton glacial. Par conséquent, Votre Grâce, j’aimerais que vous en veniez sans détour à l’objet de votre visite.
— J’y viens, mon Prince, j’y viens. Mais auparavant, permettez-moi de vous présenter les compliments de mon ami Lord Noctifer, qui m’a expressément demandé de m’enquérir de votre santé et de celle de votre sœur.
— Ma santé est bonne, merci. Et celle de Bleu aussi.
« Il ne fera jamais un bon diplomate », conclut la Princesse, qui intervint :
— Vous remercierez Lord Noctifer de sa sollicitude, je vous prie, et vous lui exprimerez nos propres vœux de bonne santé.
— Et maintenant, venons-en au fait, enchaîna son frère.
Si Hamearis s’en offusqua, il n’en montra rien. Au contraire, un sourire éclaira son visage.
— Qu’il en soit donc ainsi, Prince ! lança-t-il.
Et Bleu sut qu’il préparait un coup terrible. Elle en était même si sûre qu’elle voulut lui crier d’arrêter tout, tout de suite, de ne plus prononcer un mot, de s’en retourner à l’instant. Mais sa panique était telle qu’elle lui clouait la langue.
— Prince Pyrgus, dit alors Hamearis, votre père, l’Empereur pourpre, a conclu un pacte avec Lord Noctifer, représentant des Fées de la Nuit. De ce pacte, il ressort que, afin de pallier les conséquences de sa maladie récente et persistante, les fonctions d’État doivent être assumées par son fils Comma, lequel sera, jusqu’à sa majorité, conseillé par Lord Noctifer qui exercera les fonctions de Régent royal.
Le duc de Burgonde sortit un rouleau de la poche de sa tunique et le tendit à Pyrgus en commentant :
— Je suis chargé, mon Prince, de vous présenter une copie de ce pacte, frappé du Sceau impérial et signé de la main de votre père, le dernier Empereur pourpre. Nous sommes certains que Votre Grandeur, ainsi que la famille et la Maison royales, apporterez l’assistance et l’aide nécessaires au Prince Comma et à Lord Noctifer dans l’exercice de leurs diverses fonctions.
L’Empereur héritier ne fit aucun geste pour s’emparer du rouleau, que Hamearis laissa donc choir à ses pieds.
— D… duc Hamearis, lâcha Bleu, il ne vous a pas échappé que notre père est décédé !
L’homme serait-il donc stupide en plus d’être méchant, cruel, chafouin et pervers ? Il s’humecta les lèvres et sourit comme s’il avait attendu ce moment depuis le début de l’entrevue.
— Votre Altesse Sérénissime, déclara-t-il, il est de mon devoir – et je m’en réjouis – de vous informer que votre illustre père est tout ce qu’il y a de vivant.
Il fit un geste derrière lui.
La silhouette engoncée dans son manteau avança de trois pas et rejeta son capuchon en arrière.