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Tout de velours noir vêtu, Lord Noctifer semblait au bord de l’apoplexie :
— Partis ? Comment ça, partis ?
— Partis en exil, précisa Comma en caressant avec tendresse le repose-bras de son trône.
Il agita les mains. Sa tunique pourpre officielle – trois fois trop grande pour lui – frémit.
— J’avais dit : emprisonne-les et exécute-les ! glapit Noctifer.
— J’en ai décidé autrement, rétorqua Comma. On conseille l’Empereur pourpre ; on ne lui donne pas d’ordre.
Ce gamin était un cauchemar. Rien de nouveau sous le soleil : déjà, sa mère…
— Tu n’es pas l’Empereur pourpre, rappela la Fée de la Nuit.
— Pas encore.
— En attendant, je suis le régent, et c’est moi qui décide.
— Trop tard !
— Où les as-tu envoyés ?
— Hum… en territoire halek.
Noctifer rugit intérieurement. Ses agents n’avaient jamais réussi à s’infiltrer, là-bas. Le Haleklind s’étendait au beau milieu de nulle part, ce qui ne facilitait pas l’installation des agents doubles. La plupart des autochtones vivaient au fond de leurs bois. Mais les sorciers… c’était autre chose. Oseraient-ils s’élever contre le Royaume ? Il y avait peu de chances. Le prix qu’ils réclameraient serait trop important. Ces gens-là étaient dangereux – voilà pourquoi l’Empire avait veillé à ne pas leur échauffer les oreilles. Mais on ne sait jamais. Pyrgus était sans doute prêt à tout pour regagner ce qu’il avait perdu.
Inutile de prendre des risques. Il fallait empêcher les exilés d’atteindre la frontière, en arrêtant leur convoi… ou en s’arrangeant pour les assassiner avant.
— Quand sont-ils partis ? demanda-t-il d’une voix tranchante.
— Juste avant votre arrivée.
— Comment voyagent-ils ?
— En ouklo impérial.
Bonne nouvelle ! Même impériaux, les ouklos restaient des véhicules lents. Il faudrait entre un et deux jours au cortège pour atteindre la frontière. C’était jouable.
— Quelle route ont-ils prise ? voulut-il savoir.
— Alors ça, je m’en contrefiche ! Je laisse ce genre de détails à mes sous-fifres !
« Calme-toi, s’ordonna Noctifer. Ce petit crétin a dû prévoir une escorte. Une question au poste de garde, et tu découvriras leur itinéraire. Après, tu n’auras plus qu’à envoyer tes meilleurs hommes massacrer les gardes et les voyageurs. »
— Tu as eu tort de risquer ton avenir en laissant vivre ton demi-frère et ta demi-sœur, déclara-t-il.
— C’est mon choix.
— Eh bien, tu as eu tort quand même. Je vais tâcher de réparer cette grossière erreur. Mais je te préviens : si jamais tu t’abstiens de nouveau d’obéir à mes ordres, tu le regretteras. Pas longtemps, mais très douloureusement. N’oublie pas que j’ai toute autorité sur ton père !
Comma sauta sur ses pieds ; et Noctifer fut surpris du changement qui venait de s’opérer en lui. Il ne s’attendait pas à ce que le garçon le toisât avec un mélange de mépris et de rage dans les yeux :
— Mon père ? Vous osez parler de mon père comme si je ne savais pas qu’il n’était qu’une coquille vide possédée par votre magie noire ! Vous aussi, vous me prenez pour un imbécile ? Vous avez tort. Oh, comme vous avez tort, mon oncle !
Noctifer pivota et sortit de la salle du trône à grandes enjambées. Il devait d’abord s’occuper de Pyrgus et de Bleu.
Puis il réglerait son compte à ce misérable insolent.