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L’énorme barge impériale s’éloigna de l’île pourpre en faisant scintiller autour d’elle les petites touches d’or et de rose que l’aube avait déposées sur l’eau. Conformément à la tradition, son départ fut salué par cent un coups de canons annonçant à la population le jour du Couronnement. Mais les gens n’avaient pas l’air d’avoir besoin de cette information. Depuis minuit, ils se pressaient en procession le long de la route qu’emprunterait la barge.
Celle-ci avait tourné au nord-ouest pour se diriger vers la rive nord, à Wirmark, près de la Porte Est. Les sorciers embarqués avaient combiné leurs efforts pour lancer dans l’air deux illusions gigantesques : l’une représentait la Couronne pourpre ; l’autre le papillon, emblème de la Maison d’Iris. Aussitôt, les applaudissements redoublèrent ; et les illusions s’épanouirent. Car ces sortilèges très perfectionnés étaient interactifs : selon le volume sonore et les cris des spectateurs, la couleur et l’ampleur des artifices changeaient.
L’embarcation vira vers Merkinstal, un faubourg du sud encore très agricole. Sur le pas de leurs maisonnettes, les habitants acclamaient la suite impériale. « Pauvres mais loyaux », pensa Pyrgus, touché, derrière une paroi teintée.
Dans les coins reculés, les gens s’habillaient de méchants vêtements cousus main, dans des couleurs sable et ocre ; plus on avançait vers la ville, plus on voyait de tenues satinées et soyeuses, pourvues de motifs où l’originalité le disputait à l’élégance.
L’embarcation continua vers le sud-ouest. Direction le cours principal du fleuve, d’où elle gagnerait le pont de Lohman…