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Pyrgus battit des paupières et essaya de ne pas paraître trop impressionné malgré ce nouvel exploit. Les Fées de la Forêt maîtrisaient tant de technologies ! Rien de ce qui était magique ne leur semblait étranger ! Bien sûr, modifier ou dissimuler l’apparence d’un objet n’avait rien d’exceptionnel. Un banal sortilège d’illusion suffisait. On en enveloppait la chose à modifier, et le tour était joué. Changer certaines caractéristiques d’un objet était déjà plus costaud. Faisable (si on avait assez d’argent pour s’offrir de la haute magie), mais costaud.
Par contre, le Prince n’avait jamais – au grand jamais – vu quelqu’un modifier la nature essentielle d’un objet. Jeter un sort à un pandatherium pour qu’il ressemble et agisse comme un endolg ? Jouable, bien que l’effet soit limité puisque le pandatherium garde le poids et le volume d’un pandatherium. Rien à voir avec ce qui venait de se passer. Ce radeau pour sept personnes n’était, une seconde plus tôt, qu’un petit filet que transportait une jeune fille svelte (et très belle, même si ce n’était pas la question).
C’était matériellement impossible. Ce qui n’avait pas empêché Pyrgus de le voir de ses propres yeux.
— Montez vite ! chuchota Nymphe. Il faut que je nous recouvre !
La jeune fille avait certaines similitudes de caractère avec Bleu, pensa le Prince. Le côté « c’est moi le chef », notamment.
D’ailleurs, la Princesse se méfiait de Nymphe :
— Ça veut dire quoi, « nous recouvrir » ?
— Nous cacher de manière que personne ne nous voie depuis le palais.
— Nous rendre invisibles, donc ?
— Non. L’invisibilité ne suffit pas. Avec elle, on est toujours là où on est.
Pyrgus grinça des dents. Il était déjà perdu.
— Allez, on monte, Bleu ! décida-t-il.
Sa sœur le fixa mais obéit. Elle disparut… et le radeau aussi !
— Oui, bon, c’est un sortilège d’invisibilité, conclut-il.
— Non, objecta Nymphe. Tu ne pourras plus repérer ta sœur ou le vaisseau tant que je n’aurai pas désactivé le processus. Essaie.
Il tendit les doigts. Qui ne rencontrèrent que le vide.
— Bleu ? lança-t-il.
— Elle t’entend et elle te voit, elle, expliqua la Fée de la Forêt. Pas l’inverse. Tant que tu ne seras pas couvert à ton tour, tu n’auras plus de contact possible avec elle. Ni avec le radeau.
Derechef, Pyrgus palpa l’air à l’endroit où avait été le radeau. Il n’y avait rien. Nymphe avait raison. C’était plus que de l’invisibilité. C’était de l’imperceptibilité. Fabuleux.
Le jeune homme se tourna vers Nymphe, les yeux écarquillés. La soldate avait l’air de passer un très bon moment.
— Allez, à ton tour ! lui dit-elle. Monte à bord.
— Mais… le bateau n’est plus là !
— Tu ne le perçois plus, Prince, c’est différent. J’ai promis que tu traverserais à pied sec, tu peux me faire confiance.
L’invitation de Nymphe ressemblait à un défi. Aussi Pyrgus n’hésita-t-il pas un instant. Il avança d’un pas… et se retrouva sur le radeau.
— Pourquoi tu nous as retardés ? lui demanda Holly Bleu d’un ton rogue.
— Tu me voyais ?
— Parfaitement.
— Moi, je ne te voyais pas, je ne sentais pas le radeau, je…
— Eh bien, moi, je te voyais minauder avec ta petite Mlle Je-sais-tout. On peut y aller, maintenant, si vous avez fini de discuter ?