7

Le Grand Donjon d’Asloght était impressionnant. Il s’élevait au milieu du vide désolé et aride formé par la Lande* de Nikure ; mais l’essentiel du monument était souterrain. On l’avait construit dix-huit siècles plus tôt, en prévoyant un dédale de cavités souterraines destinées à stocker la nourriture. Depuis plus de trois siècles, sa vocation avait changé : Asloght était la plus terrible prison du Royaume. C’est là qu’on envoyait moisir les criminels récidivistes et les dissidents politiques.

Et c’est là que Harold Dingy avait quelques problèmes avec le Gouverneur du Donjon.

— Je ne vous dis pas que ces papiers sont faux, affirmait l’officier. Pas du tout. Je dis juste que le sceau en cire est rouge.

— Et alors ? gronda Dingy.

L’interlocuteur du Gouverneur était grand et costaud. Il n’avait pas l’habitude qu’on s’oppose à ses désirs.

— Eh bien, dans mon souvenir, il devrait être rose, expliqua l’officier.

— Rouge… rose ? Quelle différence ?

— C’est une nuance, mais elle peut faire toute la « différence », pour reprendre votre mot.

Il leva les yeux et sourit machinalement.

Dingy ne lui rendit pas son sourire :

— Vous connaissez le prisonnier dont parlent ces papiers ?

Le Gouverneur y jeta un œil.

— Oh, oui ! lâcha-t-il. Oh que oui !

— Sale engeance, pas vrai ?

— La plus sale.

— Qui mérite la peine prévue sur ces papiers ?

— Les peines, ce n’est pas mon domaine.

— Ah bon ?

— Je m’occupe exclusivement d’emprisonner – et, quand nécessaire, de torturer un peu – les gens qu’on me confie. Cependant, pour répondre à votre question, je crois que ce prisonnier mérite, et largement, la peine qui est inscrite ici. Je la trouve même trop douce, si vous voulez mon avis. Mais ce n’est que mon avis, bien sûr.

— Trop douce ? répéta Dingy en fronçant les sourcils. Comment cette peine pourrait-elle être plus dure que la peine capitale ? Difficile de faire pire qu’une condamnation à mort…

— Tout dépend à quelle mort. Telle est la vraie question.

— Et quelle mort souhaiteriez-vous, pour ce prisonnier ?

Le Gouverneur se recula au fond de son fauteuil, fit craquer les articulations de sa main et leva les yeux au ciel – enfin, vers le ciel : le plafond lui barrait la vue.

— Eh bien, dit-il, nous pourrions l’affamer progressivement… Ou alors lui briser les pieds et l’installer sur un tapis roulant ; le saigner ; l’écraser jusqu’à le réduire en bouillie ; le nourrir avec un poison à effet retard ; lui ôter ses organes vitaux l’un après l’autre ; placer son cerveau dans le corps d’un rat ; introduire dans ses oreilles des aiguilles chauffées à blanc ; couler ses pieds dans du béton de sorte qu’il ne puisse pas atteindre sa nourriture (c’est un peu comme le faire mourir de faim, d’accord, mais avec plus de classe) ; le cuire dans un four à thermostat minimal ; le laisser seul face à une horde d’éléphants au galop ; l’obliger à manger un endolg ; lui coudre la bouche et le nez pour l’empêcher de respirer ; le noyer dans une fosse d’aisances ; lui brûler la peau jusqu’à ce qu’elle tombe en lambeaux ; lui écraser la tête à coups d’enclume ; l’écarteler ; le donner à manger aux chiens ; l’électrocuter avec des anguilles ; le jeter du haut d’une tour ; lui injecter de la mousse de savon dans les veines ; le placer dans une cage remplie de moustiques ; lui donner à briser du granit avec un couteau halek*(iii) ; le transformer en souris et le présenter à un chat ; l’enterrer dans la neige jusqu’au printemps ; l’envoyer travailler dans les mines ; percer des trous dans son crâne et y verser de l’acide…

Le Gouverneur agita la main :

— Et cette requête exige seulement qu’on le pende !

Dingy relut ses ordres et dut reconnaître qu’ils n’étaient pas très imaginatifs.

— Ça vous dirait que je le mette un peu en condition, avant ? demanda-t-il.

— J’en serais ravi.

— Bon, alors, ce sceau…

L’officier haussa les épaules :

— Rouge, rose… Quelle importance ?

Il se leva.

— Remettez votre capuche. Quelqu’un va vous conduire à sa cellule.

L'Empereur pourpre
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