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C’était un peu gênant mais très gentil. Ou l’inverse.
Les femmes avaient emmené Henry dans une petite pièce où un impressionnant baquet d’eau fumante et parfumée semblait n’attendre que lui. Elles ne sortirent pas pendant qu’il se déshabillait (même si elles se détournèrent) : en fait, elles attendaient de pouvoir récupérer ses vêtements puants pour les emporter avec elles.
Une fois dans son bain chaud, le garçon se rendit compte à quel point il était épuisé. La tension permanente l’avait aidé à tenir le choc. À ne pas trop penser. À présent, la chaleur, l’impression de sécurité et peut-être une herbe qu’on avait mêlée à l’eau décrispaient ses muscles. Certains se révélèrent douloureux. Pas étonnant : il avait été réduit à la taille d’un papillon, plongé dans un égout, avait lutté contre le flot… Son corps avait été mis à rude épreuve.
Enfonçant sa tête dans l’eau fumante, Henry pensa à Bleu et agita les orteils. La jeune fille prenait son bain quand il l’avait vue pour la première fois (sans le faire exprès). Son bain à lui était beaucoup plus intime. Pourtant, comme la jeune fille, il avait des servantes non loin de lui. Il se demanda qui elles étaient. Pourquoi elles l’avaient aidé. Et quels liens elles entretenaient avec la folle du palais.
Il s’apprêtait à s’immerger totalement de nouveau quand l’une des femmes lui apporta du linge. Il était intrigué par ces êtres si différents les uns des autres. Elles n’avaient ni le même âge, ni le même style, ni la même taille ; et cependant, elles avaient chacune la démarche gracieuse… Henry ne connaissait aucune démarche qui pût lui être comparée. Et elles étaient gentilles aussi, bien qu’elles n’eussent aucune notion de l’intimité que pouvait désirer un garçon lorsqu’il prenait son bain.
— Je t’ai apporté de quoi t’habiller, l’informa celle qui venait d’entrer. Après ton bain, rejoins-nous. On te trouvera peut-être quelque chose à manger.
Le garçon lui sourit, le souffle court. La femme avait raison. Il n’était pas seulement éprouvé par ses dernières aventures. Il n’avait pas seulement envie de rester à somnoler dans l’eau chaude. La vérité, c’est qu’il mourait de faim.
Il sortit du baquet. Se sécha vite fait. Constata qu’il n’avait plus mal aux muscles. Sa fatigue avait presque disparu. Il ne restait plus qu’un gros creux dans l’estomac. Une affaire de minutes.
Henry saisit ses vêtements. Ce n’étaient pas les siens. On lui avait apporté des habits neufs et bigarrés. Une chemise, des chaussettes et des hauts-de-chausse assortis. Tout en soie. Sauf les sous-vêtements, car, hormis les chaussettes (« mais les chaussettes sont-elles des sous-vêtements ? » se demanda-t-il), il n’y en avait pas.
Il enfila ses vêtements (bien qu’il regrettât l’absence de caleçon). Il n’avait jamais porté de soie jusqu’à ce jour. Le tissu lui donnait de drôles de sensations. Il trouvait les couleurs un peu trop vives et la coupe un rien féminine ; cependant, il se sentait très bien dedans.
Il passa la chaussette droite. Se jaugea d’un coup d’œil. Pas mal. Un côté original, élégant et une allure héroïque pas désagréable.
Il passa la chaussette gauche. Étendit le bras. Apprécia les formes et les reflets que prenait la soie lorsqu’il bougeait. C’est clair, il était plus sexy qu’en treillis et T-shirt ringard censé affoler les filles. Dans sa nouvelle tenue, il allait peut-être affoler les filles pour de bon. À commencer par Holly Bleu.
S’il la revoyait…