45
Le lendemain matin, Pyrgus se réveilla tard. Les autres aussi devaient être épuisés : personne n’était venu réveiller l’Empereur héritier. La lumière du jour s’en chargea. Mais Pyrgus n’avait pas envie de se lever. Le soleil insistant, il finit par s’étirer et repousser les endolgs laineux qui lui servaient à la fois de gardes du corps et d’édredon.
— Salut, chef ! lancèrent-ils.
— Salut, grommela Pyrgus.
Il attrapa les serviettes qu’un domestique avait préparées pour lui, et il se dirigea vers le cube-nettoyeur.
Le Prince n’était clairement pas du matin. Encore moins de ce matin-là. La discussion qu’il avait eue la nuit dernière l’avait tenu éveillé jusqu’à l’aube. Pour rien. Il n’avait eu aucune idée lumineuse. Aucun trait de génie. Aucune solution.
— Bonjour, Altesse Royale, ronronna la voix automatique du cube-nettoyeur.
Pyrgus ne répondit pas : il grogna. Même ce sortilège d’accueil était au courant des derniers développements. Depuis la mort de son père, il était accueilli par un « Bonjour, Empereur héritier ». C’était fini. Le bruit avait couru dans tout le palais, désormais.
Le cube-nettoyeur se remplit de vapeur chaude, et des pseudopodes(v) entreprirent de décrasser le Prince avec vigueur. Des rigoles d’eau chaude et parfumée couraient à ses pieds, serpentaient autour de ses cuisses et se glissaient entre ses orteils. Une musique douce – à peine un murmure – tentait de le détendre, d’extraire le stress qui raidissait ses épaules et sa nuque.
Pyrgus referma les yeux. Il ne se sentait pas en état d’affronter le prochain rendez-vous dans… dans…
— Dix-sept minutes et trente-huit secondes, annonça le cube-nettoyeur.
Le jeune homme grimaça. La machine n’était pas devineresse, ni même télépathe. Juste dotée d’un sortilège d’intelligence et d’anticipation qui augmentait son prix, déjà très élevé. À une moue de Pyrgus, elle avait deviné la question que le jeune homme se posait. Et, ce faisant, renforcé son malaise. Car Pyrgus avait honte de se servir de ce gadget. La vie avait été beaucoup plus simple quand il était resté caché parmi le petit peuple afin d’éviter les disputes avec son père.
Ce matin-là, il avait dix-sept minutes et trente-huit secondes (un peu moins, à présent), pour inventer une astuce. Pas question de s’incliner devant les maléfices de ce diable de Lord Noctifer. Ni maintenant, ni jamais. Et tant pis s’il devait… s’il devait… s’il devait quoi, d’ailleurs ?
Soudain, une idée le frappa : il attendait tout des autres, comme s’il n’avait pas existé. Prendre une initiative – voilà ce qu’il convenait de faire ! Passer à l’action !
Sauf que son esprit refusait de fonctionner.
Le cube-nettoyeur sentit son hésitation et inonda d’un puissant jet glacé son corps nu. Pyrgus glapit et bondit dehors pour se blottir dans ses serviettes. Cependant, il avait les idées plus claires.
Par exemple, il pouvait refuser de reconnaître le pacte. Affirmer que son père était mort. Que Noctifer avait imité la signature. Son ennemi serait coincé !
« Sauf s’il présente le zombie de l’Empereur pourpre », rectifia une petite voix dans la tête du jeune homme. La dépouille de son père était l’esclave de Noctifer.
Pyrgus s’habilla lentement, l’échine courbée, le moral au plus bas. Dans des moments pareils, la seule consolation consistait à se dire que la situation n’avait aucune chance d’empirer. A priori.