71

Pyrgus se frottait les yeux. Le spectacle était incroyable.

Près d’un millier de fées étaient arrivées dans la clairière de la forêt ; et il en arrivait autant à chaque minute qui passait. Elles apparaissaient de chaque arbre comme, plus tôt, le Prince et ses compagnons de voyage. Le sortilège qui permettait une telle performance était sans doute lié à la technologie de translation qu’utilisaient les portails. Sauf que ce type de portail ne faisait pas passer dans une autre dimension. Juste à travers un arbre.

Impressionnant. À sa connaissance, le meilleur sorcier halek* en aurait été incapable. Il se demanda comment les Fées de la Forêt y parvenaient, elles.

Une nouvelle idée brouilla la précédente : il se dit que, avec un sortilège aussi puissant, aucun palais n’était à l’abri. Avec de tels portails, on pouvait passer à travers n’importe quelle muraille, si haute et si épaisse fût-elle.

Les fées s’organisaient en rangs d’oignons, bien que certaines ne fussent pas en uniforme vert treillis. Peut-être étaient-ce des soldats en permission ce jour-là. Ou alors ces fées avaient une aptitude naturelle à la discipline et à l’organisation, soldats de métier ou non.

Pyrgus se retourna pour poser la question à Nymphe. Elle avait disparu. Mme Cardui aussi.

— Vous avez deviné leur secret ? chuchota-t-il à l’oreille de M. Fogarty.

— Non. Mais je donnerais cher pour le connaître.

À son tour, Holly Bleu prit la parole :

— Pyrgus, qu’est-ce qui est arrivé à…

Elle s’interrompit. Car, dans la clairière, le silence était soudain retombé. Les têtes s’étaient tournées vers l’un des sentiers forestiers. Dans le lointain, des cloches sonnaient.

Deux hommes à cheval fendirent les flots de la foule, qui reflua de chaque côté du sentier. Pyrgus, Bleu et M. Fogarty se retrouvèrent au premier rang. Ils se regardèrent, mais décidèrent de ne pas bouger. Au moins, ils seraient plus près du spectacle. Et, s’ils gênaient, on ne se gênerait pas pour les en informer.

Un détachement des archers à cheval s’approcha du sentier. Leur armement paraissait basique. Toutefois, Pyrgus avait appris à se méfier des apparences. Pas impossible que les flèches de ces soldats fussent ensorcelées. Comme l’éclair elfique qui avait tué le chauffeur : il avait probablement bénéficié du sortilège qui leur avait permis de passer à travers l’arbre. Voilà pourquoi il avait franchi la barrière de l’argent adamantin ! Ces archers étaient capables de tirer à travers les armures les plus solides. Hallucinant…

Le bruit des cloches était plus proche, à présent. Des cavaliers en masse, la mine grave, le port solennel, suivaient les archers.

— Ils se servent de chevaux ! murmura Pyrgus, étonné. Ils ont des disques volants et des sortilèges de lévitation, et ils montent quand même à cheval !

— C’est plus pratique dans la forêt, expliqua M. Fogarty à voix basse. Un cheval évite spontanément les obstacles. Dans les fourrés, il doit être plus rapide qu’un disque volant.

Les archers entrèrent dans la clairière et s’écartèrent pour former un cercle… autour des trois nouveaux venus. Sans être vraiment inquiet, Pyrgus n’était pas très rassuré non plus.

L’étrange procession continua. Des cavaliers arrivaient en nombre, entourés de fantassins qui levaient les bras au ciel et les agitaient sans effrayer le moins du monde les chevaux. Tous étaient costumés. Ils portaient un curieux assortiment de vêtements qui avaient dû être à la mode cinq siècles plus tôt. Prédominaient les chapeaux pointus et les chaussures effilées.

— Oooh ! lâcha M. Fogarty. C’est la Chasse sauvage !

— La quoi ? demanda Pyrgus dans un souffle.

— La Chasse sauvage. Une vieille superstition du Monde analogue. Enfin, je croyais qu’il s’agissait d’une superstition. Au Moyen Âge, on racontait que, certaines nuits, des sorcières et des êtres surnaturels erraient dans la forêt pour traquer des… des âmes, j’imagine. On appelait ça la Chasse sauvage, ou la Chasse Féerique. La légende existe aussi chez vous, apparemment : je reconnais les costumes – les chapeaux pointus – et les acteurs – les archers, les cavaliers et, devant, les femmes.

Pyrgus s’aperçut que, en effet, c’était une femme qui menait le bal. Comment avait-il pu ne pas la remarquer jusqu’alors ? C’était la créature la plus étrange qui fût. Elle était vêtue en grande partie de vert (elle portait un manteau en fourrure sur une tunique lâche et des hauts-de-chausse serrés) ; dans ses cheveux verts courait une guirlande de petites fleurs sauvages ; même sa peau était maquillée de vert, ce qui sertissait à merveille ses yeux dorés. Derrière elle, chevauchait un homme vert, muni d’un arc impressionnant qu’il portait sur son dos. L’archer était torse nu sous son manteau entrebâillé, qui dévoilait un poitrail puissamment musclé. Ses yeux étaient presque noirs et sa chevelure d’un blond doré.

La femme chevaucha droit vers Pyrgus, s’arrêta quelques foulées plus loin, sauta à terre d’un bond gracieux et revint vers le jeune homme.

— Prince Pyrgus Malvae, je me présente : je suis la reine Cléopâtre, déclara-t-elle, les yeux rivés sur le jeune homme. Et voici mon époux, Gonepterix.

L’archer qui la suivait hocha la tête, le visage attentif mais ferme.

— Vous êtes la reine… Cléopâtre ? répéta M. Fogarty, incrédule.

— Oui, répondit la femme avec un sourire. Aussi vrai que vous êtes Alan Fogarty, le Gardien du Monde analogue dont m’a parlé la Femme peinte.

« La reine Cléopâtre ? » Pyrgus n’en revenait pas. « Mais reine de quoi ? et d’où ? » Il ne connaissait donc rien aux Fées de la Forêt ! Il ne savait pas qu’elles avaient une reine, ni qu’elles avaient construit un réseau de routes au-dessus des arbres, ni qu’elles pouvaient franchir les parois les plus solides, ni qu’elles vivaient à l’intérieur des arbres, ni qu’elles étaient aussi nombreuses et aussi civilisées. Ces gens habitaient le Royaume des Fées ; et cependant, c’est comme s’ils avaient habité une autre planète.

— Je suis venue vous souhaiter la bienvenue, Prince, annonça Cléopâtre, ainsi qu’à votre sœur…

— Je suis la Princesse Holly Bleu, annonça la jeune fille en s’avançant.

Jusque-là, M. Fogarty l’avait dissimulée à la vue de la Reine.

— La Femme peinte m’a beaucoup parlé de toi, dit Cléopâtre d’une voix chaleureuse. Encore plus que du Gardien, ce qui n’est pas peu dire !

— Et où est-elle passée ?

— Elle nous a devancés. Elle nous attend dans la Grande Salle. Allons donc la rejoindre, voulez-vous ?

— Je monte pas à cheval, prévint M. Fogarty en observant avec méfiance la monture de la Reine.

La Reine parut surprise. Puis elle se remit à sourire :

— Pour vous rendre à la Grande Salle ? Oh, ce n’est pas la peine, Gardien. Elle est beaucoup plus proche que vous ne le  pensez…

L'Empereur pourpre
titlepage.xhtml
book_0000.xhtml
book_0001.xhtml
book_0002.xhtml
book_0003.xhtml
book_0004.xhtml
book_0005.xhtml
book_0006.xhtml
book_0007.xhtml
book_0008.xhtml
book_0009.xhtml
book_0010.xhtml
book_0011.xhtml
book_0012.xhtml
book_0013.xhtml
book_0014.xhtml
book_0015.xhtml
book_0016.xhtml
book_0017.xhtml
book_0018.xhtml
book_0019.xhtml
book_0020.xhtml
book_0021.xhtml
book_0022.xhtml
book_0023.xhtml
book_0024.xhtml
book_0025.xhtml
book_0026.xhtml
book_0027.xhtml
book_0028.xhtml
book_0029.xhtml
book_0030.xhtml
book_0031.xhtml
book_0032.xhtml
book_0033.xhtml
book_0034.xhtml
book_0035.xhtml
book_0036.xhtml
book_0037.xhtml
book_0038.xhtml
book_0039.xhtml
book_0040.xhtml
book_0041.xhtml
book_0042.xhtml
book_0043.xhtml
book_0044.xhtml
book_0045.xhtml
book_0046.xhtml
book_0047.xhtml
book_0048.xhtml
book_0049.xhtml
book_0050.xhtml
book_0051.xhtml
book_0052.xhtml
book_0053.xhtml
book_0054.xhtml
book_0055.xhtml
book_0056.xhtml
book_0057.xhtml
book_0058.xhtml
book_0059.xhtml
book_0060.xhtml
book_0061.xhtml
book_0062.xhtml
book_0063.xhtml
book_0064.xhtml
book_0065.xhtml
book_0066.xhtml
book_0067.xhtml
book_0068.xhtml
book_0069.xhtml
book_0070.xhtml
book_0071.xhtml
book_0072.xhtml
book_0073.xhtml
book_0074.xhtml
book_0075.xhtml
book_0076.xhtml
book_0077.xhtml
book_0078.xhtml
book_0079.xhtml
book_0080.xhtml
book_0081.xhtml
book_0082.xhtml
book_0083.xhtml
book_0084.xhtml
book_0085.xhtml
book_0086.xhtml
book_0087.xhtml
book_0088.xhtml
book_0089.xhtml
book_0090.xhtml
book_0091.xhtml
book_0092.xhtml
book_0093.xhtml
book_0094.xhtml
book_0095.xhtml
book_0096.xhtml
book_0097.xhtml
book_0098.xhtml
book_0099.xhtml
book_0100.xhtml
book_0101.xhtml
book_0102.xhtml
book_0103.xhtml
book_0104.xhtml
book_0105.xhtml
book_0106.xhtml
book_0107.xhtml
book_0108.xhtml
book_0109.xhtml
book_0110.xhtml
book_0111.xhtml
book_0112.xhtml
book_0113.xhtml
book_0114.xhtml
book_0115.xhtml
book_0116.xhtml
book_0117.xhtml
book_0118.xhtml
book_0119.xhtml
book_0120.xhtml
book_0121.xhtml
book_0122.xhtml
book_0123.xhtml
book_0124.xhtml
book_0125.xhtml
book_0126.xhtml
book_0127.xhtml
book_0128.xhtml
book_0129.xhtml
book_0130.xhtml
book_0131.xhtml
book_0132.xhtml
book_0133.xhtml
book_0134.xhtml
book_0135.xhtml
book_0136.xhtml
book_0137.xhtml
book_0138.xhtml
book_0139.xhtml
book_0140.xhtml
book_0141.xhtml
book_0142.xhtml
book_0143.xhtml
book_0144.xhtml
book_0145.xhtml
book_0146.xhtml
book_0147.xhtml
book_0148.xhtml
book_0149.xhtml
book_0150.xhtml
book_0151.xhtml
book_0152.xhtml
book_0153.xhtml
book_0154.xhtml
book_0155.xhtml
book_0156.xhtml
book_0157.xhtml
book_0158.xhtml
book_0159.xhtml
book_0160.xhtml
book_0161.xhtml
book_0162.xhtml
book_0163.xhtml
book_0164.xhtml
book_0165.xhtml
book_0166.xhtml
book_0167.xhtml
book_0168.xhtml
book_0169.xhtml
book_0170.xhtml
book_0171.xhtml
book_0172.xhtml
book_0173.xhtml
book_0174.xhtml
book_0175.xhtml
book_0176.xhtml
book_0177.xhtml
book_0178.xhtml
book_0179.xhtml
book_0180.xhtml
book_0181.xhtml
book_0182.xhtml
book_0183.xhtml
book_0184.xhtml
book_0185.xhtml
book_0186.xhtml
book_0187.xhtml
book_0188.xhtml
book_0189.xhtml
book_0190.xhtml
book_0191.xhtml
book_0192.xhtml
book_0193.xhtml
book_0194.xhtml
book_0195.xhtml
book_0196.xhtml
book_0197.xhtml
book_0198.xhtml
book_0199.xhtml
book_0200.xhtml
book_0201.xhtml
book_0202.xhtml
book_0203.xhtml
book_0204.xhtml
book_0205.xhtml
book_0206.xhtml
book_0207.xhtml
book_0208.xhtml
book_0209.xhtml
book_0210.xhtml
book_0211.xhtml