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Bleu ferma les yeux. Mais l’image du corps de Ziczac percé de sept piques métalliques la poursuivit derrière ses paupières closes.
— Tu sais où on est, n’est-ce pas ? lui dit Pyrgus.
— Oui. Dans un labyrinthe obsidional.
— C’est quoi, un labyrinthe obsidional ? demanda Comma, le regard fasciné par la dépouille de l’ingénieur.
— Un jeu dangereux. Le labyrinthe est bourré de pièges mortels, d’illusions létales, de démons sanguinaires, d’animaux sauvages, et j’en passe et des meilleures. On y introduit un candidat, et s’il en sort vivant, il a gagné.
— Tu… tu appelles ça un jeu ? s’exclama Nymphalis, stupéfaite.
— Cest illégal depuis plusieurs siècles au moins, précisa le Prince.
Holly Bleu intervint :
— Apparemment, ça n’a pas empêché Noctifer de réactiver la tradition et de se construire un labyrinthe privé. Je suis quand même surprise qu’aucune rumeur n’ait transpiré.
— Noctifer ne plaisante pas avec ses ennemis, lâcha Pyrgus en fixant Ziczac. Il sait inspirer la terreur. Avec lui, jaser peut coûter gros… Personne n’a intérêt à provoquer sa colère. Bon, que fait-on du corps de Ziczac ?
— Je vais le chercher pour l’enterrer dignement, décida Nymphalis.
— Pas question ! dit Holly Bleu.
— Ziczac était mon ami et je ne le laiss…, commença la soldate.
La Princesse l’interrompit d’un geste :
— Dans les labyrinthes obsidionaux de bon niveau, la plupart des pièges sont à double amorce.
— Pardon ?
— Il y a plusieurs déclencheurs. Le deuxième est parfois plus subtil que le premier. Voire plus dangereux. Par exemple, tu peux déclencher une nuée de gaz toxique en descendant dans une fosse chercher un ami blessé…
— Pourquoi tant de perversion ?
— Parce que, sinon, c’est moins intéressant. Si on est très, très attentif, on peut repérer la plupart des pièges. Afin de ne pas tomber dedans, soit on les évite, soit – si c’est trop compliqué de les éviter – on les déclenche volontairement pour ne pas être surpris. Une fois que les piques sont tombées, ou qu’on a tué le monstre, on croit être sorti d’affaire, et là, pof ! on marche sur une pierre spéciale… et on meurt, parce que le piège en cachait un autre.
— Tu as l’air de t’y connaître, Sérénité…
— Bleu connaît plein de secrets incroyables, signala Comma, les yeux toujours fixés sur Ziczac.
— J’ai appris ça en cours d’histoire de la civilisation.
Nymphalis ne lui répondit pas. Elle réfléchissait.
— Nous allons devoir laisser notre ami ici, finit-elle par conclure. La Princesse a raison. Nous ne pouvons pas mettre encore plus en danger l’expédition. Il est mort dignement en soldat.
— Sauf qu’il n’était pas un soldat, chuchota Henry.
— Il était plus qu’un soldat, corrigea Bleu. Il était notre guide, notre passe-murailles. Sans lui, adieu la discrétion ! Pour investir le manoir de Noctifer, il va falloir recourir à la manière forte…
— À condition que nous survivions au labyrinthe, dit Comma, hypnotisé par la mouche bleue qui se promenait sur la pupille de Ziczac.
L’Empereur héritier songea qu’il avait enfin compris ce qu’était la mort – un moment où les mouches peuvent danser sur vos yeux sans que vous ayez envie de fermer les paupières.