DES DiViSiOnS pOLiTiqUES

L’afghanistan ne fait pas partie de l’horizon politique canadien entre 2003 et 2005. C’est la succession à la tête du Parti libéral qui retient l’attention et elle sera suivie de près par deux années de scandale.

Jean Chrétien a abusé de l’hospitalité du Parti libéral. Bien qu’il ait un dossier enviable de succès à la tête de son parti, ayant remporté trois élections consécutives, il n’est pas parvenu à se faire aimer de son parti ni de son caucus parlementaire. irascible, autoritaire et distant par rapport à ses députés, il a créé un vide de loyauté qu’un aspirant ambitieux aurait tout loisir de combler. Comme de fait, il y en a un, le ministre des Finances, Paul Martin fils. Chrétien l’a défait au terme d’une campagne au leadership amère en 1990 et, par la suite, jamais les relations entre les deux hommes n’ont-elles été chaleureuses ni empreintes de confiance. Martin est prêt à attendre un peu que Chrétien se retire mais à mesure que les élections et les années passent, il gagne en âge. avec l’aide de quelques adjoints politiques très compétents, Martin s’organise pour s’attirer la loyauté des associations de comtés dans tout le pays. Peut-être Chrétien pourrait-il l’emporter mais Martin, les libéraux en sont convaincus, remportera une victoire plus éclatante. L’avenir du parti tient à une chose : se débarrasser du vieux chef pour faire place au nouveau : Martin.

Chrétien réagit en retirant à Martin le portefeuille de ministre des Finances, ce qui laisse à ce dernier plus de temps pour atteindre son objectif de diriger le parti. (ainsi, Martin évite de prendre part aux débats que tient 17 • nouveau millénaire, nouvel univers

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le cabinet en mars 2003 à propos de la guerre en irak et, par conséquent, de prendre position sur la question.) enfin, soumis à la pression, Chrétien accepte de remettre sa démission. On convoque les membres à un congrès tenu en novembre 2003 à toronto. inévitablement, c’est Martin qui en sort vainqueur mais c’est Chrétien, dans son allocution de départ, qui vole la vedette. il fait sonner son carillon : tradition libérale de bien-être social, lutte contre le déficit, Loi sur la clarté, avant d’ajouter « et c’est en raison de notre profonde croyance, comme Canadiens, envers les valeurs du multilatéralisme et les nations Unies que nous ne sommes pas partis faire la guerre en irak ». Les représentants au congrès se lèvent d’un bond et applaudissent le vieux dirigeant à tout rompre. Beaucoup pensent que Martin aurait agi différemment en politique étrangère, notamment à propos de l’irak ; l’allocution de Chrétien contient un avertissement de ne pas s’y risquer.

Le passage de Martin au centre de la scène nationale est plutôt bref, de décembre 2003 à février 2006. Martin paraît tout d’abord s’attacher davantage à éliminer des opposants au sein du Parti libéral que d’attaquer l’opposition ; il semble qu’il considère comme certaine une victoire sur les conservateurs, jusque-là malchanceux. Confronté à un scandale de type classique, le gaspillage de fonds fédéraux pour payer des agences de publicité proches des libéraux au Québec en échange de travaux insignifiants manifestement destinés à promouvoir le fédéralisme et le Canada, Martin choisit la voie de l’indignation et, reprenant la même tactique que Chrétien dans le cas de la somalie, nomme une commission d’enquête sur ce qu’on appelle le « scandale des commandites ». Puis, espérant avoir ainsi apaisé l’électorat, il déclenche des élections en juin 2004, après un peu plus de trois ans d’écoulés au mandat du Parlement en place, dans l’attente de recueillir sa propre majorité plutôt que celle de Chrétien et de renforcer son autorité sur le parti.

C’est un mauvais pari. Martin sous-estime son ennemi. Les conservateurs ont fini par se réunifier, pour la première fois depuis Mulroney, sous la direction d’un nouveau chef bourré de talent, stephen Harper, originaire de Calgary. Harper a été progressiste-conservateur dans les années 1980, a quitté Ottawa parce qu’il était dégoûté et a été l’un des premiers à réclamer un nouveau parti de droite pour remplacer les progressistes-conservateurs, trop empotés et portés aux compromis. il a rempli un mandat comme député réformiste avant de retourner au secteur privé pour y diriger un groupe d’intérêt de droite, la national Citizens’

Coalition. au moment de remplacer stockwell day comme chef de l’alliance canadienne, Harper se fixe pour objectif d’absorber les vestiges du vieux Parti progressiste-conservateur, redevenu un parti de second plan sous la direction de son ancien chef, Joe Clark. Ce dernier s’oppose à ce genre 486

UnE HIsTOIRE dU Canada

d’entente mais, après sa démission comme chef, il reste peu d’éléments en place pour s’y opposer, de sorte que la fusion est officiellement réalisée en octobre 2003. Le parti ainsi fusionné reprend le titre de « Parti conservateur », qui n’a plus été utilisé depuis 1942.

La fusion réalisée par Harper permet aux conservateurs de prendre de l’expansion géographique dans les provinces de l’atlantique et en Ontario. Homme beaucoup plus solide et impressionnant que day, son prédécesseur, Harper transporte certains éléments encombrants de son passé, notamment la signature apposée à une déclaration de 2000 appelant le gouvernement albertain à « ériger un mur coupe-feu » autour de la province pour la protéger des influences iniques libérales. il a soutenu le guerre de Bush en irak en mars 2003 et a dénoncé le gouvernement pour avoir refuser de suivre son allié naturel47. sur le plan de la politique canadienne, il ne serait pas injuste de qualifier Harper de provincialiste ou, peut-être, de strict constructioniste, puisqu’il soutient que le gouvernement fédéral devrait s’en tenir aux pouvoirs énumérés dans la constitution de 1867 et qu’il devrait, par ailleurs, accorder davantage d’attention à des secteurs négligés comme la défense nationale.

Harper ne parvient pas à faire passer ses idées pendant la campagne de 2004. déçus par Martin et les libéraux, les Canadiens ne le sont pas suffisamment pour risquer leur chance avec Harper et les conservateurs48.

La campagne de Martin, fondée sur sa supposée popularité (les pancartes électorales portent le slogan « Les libéraux de Paul Martin », pour les distinguer des méchants vieux libéraux de Jean Chrétien, bien entendu)49, commence par de vilains faux pas. Ceux qui sont chargés de la gérer passent sans attendre d’une campagne positive à une campagne négative, insistant sur l’extrémisme et la rigidité de Harper, défauts dont le chef conservateur donne alors des preuves manifestes. d’une campagne négative classique, les libéraux obtiennent un gouvernement minoritaire, une deuxième chance pour Martin de remplir sa promesse de nouveau visage en politique canadienne. sinistre présage, les libéraux subissent une cuisante défaite au Québec, reflet de l’irritation des Québécois face au scandale des commandites. Quelle que soit la cause de sa défaite, Martin a espéré s’en tirer mieux que Chrétien au Québec en adoptant une approche plus douce et conciliante, la doctrine incohérente du « fédéralisme asymétrique », face aux nationalistes du Québec ; au lieu de cela, il s’en tire beaucoup plus mal.

La deuxième chance de Martin s’étire sur dix-huit mois. Le gouvernement remporte quelques succès, parvenant à conclure un vaste accord financier avec les autochtones du Canada en novembre 2005 et à s’entendre avec les provinces sur le financement de centres de la petite enfance à un coût abordable dans l’ensemble du pays. il prend certaines 17 • nouveau millénaire, nouvel univers

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mesures pour doter les Forces armées canadiennes, soumises à beaucoup de pression, de nouveau matériel. en politique étrangère, il colmate les relations avec l’administration Bush en envoyant des troupes en afghanistan.

(Confrontés à une interminable insurrection en irak, les américains ont besoin de toute l’aide qu’ils peuvent obtenir pour soulager leur propre armée soumise à beaucoup de pression, dans le cas qui nous occupe en leur permettant de réduire leurs forces en afghanistan.) Par ailleurs, Martin ne parvient pas à une entente sur une des priorités politiques de Bush, la coopération en vue d’un bouclier anti-missiles continental.

sans doute s’agit-il d’assez bons résultats mais leur valeur souffre de la perception de plus en plus répandue d’un premier ministre incapable de prendre des décisions dans de grands dossiers, perception renforcée par l’opportunisme parfois saisissant de la tactique libérale de maintien d’une majorité à la Chambre des communes. (Un chroniqueur de quotidien anglophone donne à Martin le sobriquet de « Mr. dithers » en raison de son indécision et le nom lui reste collé à la peau.50) Une conservatrice de premier plan passe dans le camp des libéraux, où elle ne tarde pas à être nommée ministre. Peu de temps après, les libéraux l’échappent belle en raison d’une égalité de votes en Chambre et ne doivent leur salut, selon la coutume parlementaire, qu’au vote du président de la Chambre.

La chance tourne le dos à Martin en novembre 2005. ayant subi la défaite en Chambre des communes, il est plongé dans des élections en janvier 2006. il reprend la même tactique que pendant la campagne de 2004, avec moins de succès cette fois. il perd ses élections, de façon plus impressionnante sur le plan du vote populaire que sur celui du nombre total de sièges. Martin démissionne à la fois comme premier ministre et comme chef du Parti libéral. en février 2006, stephen Harper devient premier ministre à la tête d’un gouvernement minoritaire conservateur.

Une histoire du Canada
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