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parce que les emplois dans les usines de matériel de guerre sont payants, de sorte qu’en dépit d’impôts élevés, des centaines de milliers de Canadiens connaissent un niveau de vie meilleur que depuis les années 1930 voire même que jamais auparavant. Comme le taux de chômage tombe à deux pour cent à l’automne 1941 – un taux quasiment nul en réalité – il semble y avoir des emplois pour tous ceux qui désirent travailler.
Le gouvernement s’efforce d’utiliser les ressources disponibles en sous-traitant la production conformément à ce qu’on appelle le programme Miettes et morceaux. Ce dernier permet une grande dispersion de la production de guerre et, dans un pays régionalisé et caractérisé par de longues distances, ce genre de programme revêt une importance tout autant politique qu’économique. il est néanmoins vrai que ce sont les grandes régions métropolitaines, Montréal, d’abord, puis toronto et la région environnante (le Golden Horseshoe, qui recouvre les terres bordant l’extrémité nord-ouest du lac Ontario), Winnipeg et vancouver20 qui connaissent la plus grande concentration d’industries de guerre. La population se déplace vers le Québec, l’Ontario et la Colombie-Britannique, ainsi que vers la nouvelle-écosse en raison de la concentration de bases britanniques dans cette province. elle quitte les Prairies, surtout la saskatchewan et l’alberta, ainsi que le nouveau-Brunswick et l’Île-du-Prince-édouard. elle délaisse les campagnes pour envahir les villes.
Beaucoup considèrent le service militaire préférable à leur emploi actuel. Les secteurs des mines et de la foresterie, en particulier, sont impopulaires mais comme de nombreux secteurs industriels en dépendent, le gouvernement ne ménage pas ses efforts pour retenir les mineurs et les bûcherons dans leurs emplois. Les recruteurs ont pour instruction de refuser les mineurs et les travailleurs forestiers et il arrive que l’on renvoie à leurs emplois civils antérieurs ceux qui se sont déjà enrôlés.
Les approvisionnements de guerre ne proviennent pas exclusivement des forêts, des usines ou des mines. Même ravagée par les faibles niveaux de prix et la sécheresse des années 1930, l’agriculture représente l’un des grands atouts du Canada. Les alliés ont profité du blé canadien pendant la Grande Guerre et il semble raisonnable de penser qu’ils le feront de nouveau. Mais, grâce à Hitler, les clients sont absents. Occupée, l’europe n’est pas en mesure d’acheter du blé canadien, ce qui signifie que la bonne récolte de blé de 1940 demeure en grande partie non vendue et inexportée.
La solution consiste à diversifier l’agriculture des Prairies : davantage de céréales secondaires pour nourrir plus de bétail. au Canada, en ce temps de guerre, nul besoin de rationner le steak, ce qui fait du dominion une destination attrayante pour les fonctionnaires américains et britanniques de passage. L’argent afflue de nouveau dans les Prairies et les agriculteurs achètent du matériel comme des tracteurs et des moissonneuses-batteuses 322
UnE HIsTOIRE dU Canada
(matériel qui échappe au rationnement en raison de son importance pour la production), et remboursent leurs arriérés d’impôts.
La progression du produit national brut en dit long : en 1939, le PnB du Canada s’établit à 5,621 milliards de dollars ; en 1945 il atteint 11,863 milliards. en dollars indexés, en se servant de l’année 1971 comme base, les dépenses nationales brutes s’élèvent à 17,774 milliards en 1939 et à 29,071 milliards en 1945, soit une hausse de 61 pour cent21. Le revenu des ménages connaît une forte croissance, passant de 731 dollars en 1939 à 992 en 1945, bien que l’on observe surtout des gains dans la consommation pendant les trois premières années de guerre. Par la suite, les pénuries restreignent les achats tout en renforçant la capacité du pays d’épargner en vue de jours meilleurs, quand ils se présenteront22.
Le gouvernement se montrant proactif dans la régulation et le contrôle de l’économie, il est moins surpris que celui de Borden a pu l’être par des incidents d’agitation ouvrière. On observe moins de conflits de travail bien qu’il s’en présente. Pour compenser la baisse des revenus, le gouvernement envisage de verser des allocations familiales aux mères, et non aux pères, de familles avec enfants. Une loi est promulguée à cet effet mais n’entre pas en vigueur avant la fin de la guerre, moment où l’on en a oublié l’origine comme supplément du revenu permettant de compenser les contrôles des salaires.
Le gouvernement fédéral va encore plus loin : ayant recours à la Loi sur les mesures de guerre, il réglemente les relations de travail dans toutes les industries de guerre, supplantant ainsi la compétence provinciale habituelle.
Un code fédéral du travail est imposé par décret en 1944 : il libéralise les règlements régissant les syndicats, qui, en tout cas, étendent leur territoire et s’affilient des travailleurs d’un océan à l’autre.
LA mALéDicTiOn DE LA cOnScRipTiOn
La population accepte la seconde Guerre mondiale comme étant un combat contre un véritable démon. il ne faut guère de propagande pour présenter Hitler et ses alliés comme des monstres, qualifier leur gouvernement respectif de haineux et la perspective de leur victoire comme effrayante. en fait la propagande des alliés, toujours ébranlée par les exagérations verbales de la Grande Guerre, sous-estime les atrocités commises par les nazis et le caractère infâme de leur régime. il s’ensuit que, contre un grand ennemi, il faut employer les grands moyens. L’expression à la mode est celle de « guerre totale », ce qui signifie un engagement total de tous les segments de la société. Les quotidiens et les hommes politiques se 12 • mondes hosTiles, 1930–1945