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Mondes hostiles,

1930–1945

Mackenzie King (en haut) et ernest Lapointe s’adressent aux Canadiens.

Ces dessins sont de la main de l’éminent caricaturiste robert La Palme.

 

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En 1931, le sTaTuT de WesTminsTer fait du Canada un pays pratiquement souverain, ce qui, dans les faits, ne change pas grand-chose.

Le Canada peut bien être un pays souverain, mais il y en a beaucoup d’autres. si le Canada jouit d’une identité particulière, c’est comme élément du Commonwealth, relié à la Grande-Bretagne par la tradition et des liens commerciaux. dans toutes les parties du Canada flotte l’Union Jack, bien que, les jours de fêtes religieuses au Québec, on voit aussi la bannière papale jaune et blanche.

Un des signes particuliers les plus importants du Canada, la Gendarmerie royale du Canada, aussi connue sous le nom de « Police montée », est vêtue d’uniformes rouges comme les soldats britanniques et, bien entendu, dans les films, l’industrie américaine du cinéma raffole de cette force. de leur côté, les Canadiens regardent avec plaisir la régurgitation hollywoodienne d’une image du Canada principalement constituée de glace, de neige, de forêts et peuplée, dans le camp des criminels, de trappeurs fous et de resquilleurs plutôt que des habituels trafiquants d’alcool et gangsters de cinéma1.

Bien sûr, pour la majorité des Canadiens, les gangsters vivent aux états-Unis. Le Canada a bien ses trafiquants d’alcool et ses gangsters mais jamais ils n’atteignent le degré de notoriété des américains al Capone et John dillinger. Personne ne sait ce que ferait la GrC si elle devait se mesurer à un dillinger ; elle est trop occupée à remplir son rôle de police provinciale ou à garder l’œil sur les radicaux et les communistes.

radicaux et communistes constituent l’autre volet de l’iconographie des années 1930. souvent, on les présente au public comme des étrangers qui s’expriment avec des accents prononcés et font montre d’une hygiène douteuse. ils s’en prennent à des citoyens innocents, les induisant par duperie à la désaffection ou même à la déloyauté envers les institutions canadiennes. au moins les radicaux de carton sont-ils un peu plus proches de la réalité que les agents de la « Police montée » au cinéma, en dépit de la relation entre ceux-ci et la force de police nationale. Les agents de police sont confrontés à l’univers des produits primaires, des fourrures, de l’or et parfois des arbres, que les économistes d’alors et des époques suivantes appellent « produits de première nécessité ». Leur tâche principale consiste à empêcher les gens de voler ces précieuses marchandises et, tout bien considéré, nul doute qu’ils ont bien raison de le faire. Les fourrures, l’or et les arbres représentent des éléments essentiels de l’économie canadienne, auxquels on peut ajouter le blé et d’autres céréales, ainsi que quelques métaux de base. Les exportations canadiennes, ses produits de première 299

 

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nécessité, sont pour l’essentiel constituées de ce genre de marchandises, extraites, coupées et mises en tas ou en balles.

il y a cependant aussi d’autres exportations et différents types d’ouvriers pour les produire. en réalité, par rapport aux populations des autres pays occidentaux, surtout les états-Unis, la main-d’œuvre canadienne est – et c’est fâcheux – prosaïque. La plus grande partie vit dans des villes, travaille dans des usines, ou est sans emploi, car, dans les années 1930, l’économie connaît sa plus grave et plus longue récession de mémoire d’homme. C’est la récession qui contribue à faire des années 1930 une décennie de crise et de misère. Le poète W.H. auden parle de la

« décennie malsaine et déloyale », mais il fait référence à autre chose que le chômage, l’aide sociale et le découragement. il parle plutôt des efforts désespérés des politiciens démocratiques pour faire face à une situation à laquelle ils ne sont nullement préparés, dépourvus qu’ils sont de formation, d’orientation et de politiques. Manquant de véritables politiques pour tâcher de dénouer la crise, ils font semblant d’en avoir. de leur côté, les électeurs doivent les croire car, sans cela, ils perdraient leur foi envers la société et son mode d’organisation. ainsi, au Canada comme dans bien d’autres pays, les années 1930 ne représentent pas un spasme révolutionnaire mais bien une décennie conservatrice. au Canada, elle trouve son symbole dans un homme politique à la grande longévité, Mackenzie King, en poste en 1930

et toujours (ou plutôt) de nouveau en poste en 1940.

souvent, on considère la politique canadienne comme une question paroissiale, un ensemble de problèmes de voisinage et de personnalités de second plan, dont la somme démontre, pour reprendre l’expression de tip O’neill, que « toute la politique est locale », ce qui signifie que son champ est restreint. C’est parfois vrai mais ce n’est certes pas le cas dans les années 1930.

Les Canadiens ont accès à une autre politique, grâce aux quotidiens, aux films et, surtout, aux bandes d’actualités dans les cinémas, quand ils peuvent se permettre d’y aller, et à la radio. ils savent que la Crise s’étend loin en dehors des frontières canadiennes, qu’elle sévit aux états-Unis, ainsi qu’en Grande-Bretagne et en europe. La Grande-Bretagne est témoin de marches de la faim, de crises politiques et a un « Gouvernement national », une coalition de politiciens patriotiques dominée, comme pendant la Grande Guerre, par les conservateurs. en allemagne, la Crise mine la démocratie et produit un dictateur, adolf Hitler, qui hurle pendant les bandes d’actualités devant des foules dangereusement uniformes, dont les membres portent tout d’abord des pelles, puis des fusils. Leur but est d’impressionner les gens et ça marche, mais, après tout, l’allemagne est bien loin du Canada.

 

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Plus près des Canadiens et de la réalité comme ils la perçoivent, il y a Franklin delano roosevelt et son New Deal. Quand il entre en fonction, en mars 1933, roosevelt dit aux américains qu’ils n’ont « rien à craindre sinon eux-mêmes ». il prononce ces mots au plus creux de la Crise, alors que le revenu national américain a chuté de moitié depuis 1929 et qu’un quart de la main-d’œuvre ou plus est au chômage. Les Canadiens le comprennent fort bien car cela est vrai au Canada également. ils écoutent attentivement les exhortations de roosevelt et les comparent aux vociférations de leur propre premier ministre, richard Bedford Bennett, dit « r.B. ».

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Bennett est prisonnier de ses propres limites. avocat compétent, remarquable administrateur et égoïste d’une intelligence rare, il aime personnaliser ses politiques. « Je vais forcer les marchés mondiaux à s’ouvrir », dit-il à ses électeurs pendant les élections fédérales de 1930.

ses propos trouvent leur écho au sein de son auditoire. Comme Bennett, celui-ci comprend que le Canada doit exporter ou mourir, que la prospérité viendra des Canadiens qui produiront l’abondance chez eux et vendront cette abondance à l’extérieur des frontières. C’est un appel à la théorie des produits de première nécessité, bien qu’on puisse douter que Bennett ou les membres de son auditoire ou toute autre personne qu’un petit groupe d’universitaires aient déjà entendu, et encore moins utilisé, cette expression.

Mais cette théorie englobe ce que la plupart des Canadiens comprennent de leur pays : qu’il dépend des acheteurs de ses exportations. Pas d’exportations, pas d’argent et pas d’emplois, cela aussi, ils le comprennent très bien.

La promesse de Bennett de forcer les marchés mondiaux à s’ouvrir est donc porteuse d’espoir et l’espoir permet d’accumuler des votes. au terme de ce qui est essentiellement une lutte à deux, les conservateurs remportent 48,5 pour cent du scrutin et les libéraux, 45,2 pour cent, ce qui se traduit respectivement par 137 et 91 sièges à la Chambre des communes2.

Mackenzie King ne s’attendait pas à perdre les élections ; à contrecœur, il libère son bureau et se retire dans sa maison de campagne, à Kingsmere, au nord d’Ottawa, afin d’attendre la suite des choses. C’est par conséquent Bennett qui doit faire face à un problème qui dépasse de si loin son imagination qu’il minera sa santé, son gouvernement et sa carrière politique. Le choix de dirigeant politique que les Canadiens font en 1930 signifie que ce sont les conservateurs qui proposeront les premières solutions à la Crise.

 

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Bien sûr, en 1930, personne ne l’appelle ainsi. il y a certes un marasme économique ; il y a aussi une baisse du marché et des prix du blé et des pâtes et papiers. Le revenu national brut de 1930 connaît une baisse marquée, de sept pour cent, par rapport à 1929, mais cela reste néanmoins supérieur à 1927, une bonne année. il y a sûrement des raisons d’être confiant sinon tout à fait résolument optimiste.

Pourtant, la tendance à la baisse se maintient. L’année 1931 est pire que 1930 et 1932 pire que 1931. Pensant qu’il pourra ensuite les échanger contre des concessions dans les listes tarifaires des autres pays, Bennett augmente les tarifs canadiens, première étape de son programme en vue de forcer l’ouverture des marchés. C’est une mauvaise stratégie parce que tous les autres pays s’efforcent de faire de même. il en résulte un étranglement progressif de ce qui reste du commerce international. Le tour de force de Bennett se révèle être une attrape.

Le premier ministre pourrait prétendre qu’il avait besoin des revenus générés par la hausse des tarifs, sur un volume de marchandises restreint cependant, pour payer le coût du chômage. Mais sur le plan technique, comme Bennett le sait fort bien, il n’y était pas obligé. Un juge britannique a un jour comparé la division fédérale-provinciale des pouvoirs selon la constitution canadienne aux compartiments étanches d’un paquebot. Le but des compartiments étanches, n’a-t-il pas eu besoin de préciser, est de maintenir le navire à flot.

déjà, les années 1920 ont démontré que les provinces doivent composer avec des revenus insuffisants. La solution qu’elles trouvent consiste à emprunter et à compter sur une économie en expansion pour maintenir leurs finances à flot. au moment où l’économie se resserre, les provinces sont incapables de faire face à la situation, pas très longtemps à tout le moins. Leurs problèmes sont encore aggravés par ceux du palier inférieur de l’administration publique, les municipalités. Les villes, petites et grandes, relèvent exclusivement de la compétence provinciale et les provinces leur permettent d’augmenter leurs revenus par l’entremise d’impôts fonciers, d’impôts sur le revenu et de taxes de vente. au cours des années 1920, les municipalités découvrent que l’émission d’obligations représente une excellente façon de rapporter l’argent nécessaire à la construction d’écoles, de routes et d’égouts et, à l’instar des provinces, elles comptent sur le maintien de la prospérité.

Les municipalités ne sont pas les seules institutions à prendre des risques. dans les Prairies, les agriculteurs, remplis d’amertume face aux luttes avec les chemins de fer et les négociants privés en céréales, ont constitué des regroupements pour assurer la gestion de leurs récoltes, qui se chiffrent en millions de boisseaux. Pendant la Grande Guerre, le 12 • mondes hosTiles, 1930–1945

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gouvernement fédéral a mis sur pied un regroupement obligatoire, le Bureau des superviseurs de grains, qui deviendra la Commission canadienne du blé, mais il a mis un terme à son expérience à la fin des hostilités. Les regroupements ultérieurs, un par province, sont volontaires mais ils contrôlent ensemble quelque 60 pour cent de la récolte canadienne de blé3.

Ces regroupements s’efforcent d’assurer régularité et prévisibilité dans le métier rempli d’incertitude des agriculteurs : ils avancent de l’argent à leurs agriculteurs membres en fonction de la taille de leur récolte puis vendent les céréales pour le récupérer, réglant les comptes plus tard, une fois les céréales vendues et l’argent reçu. tout le mécanisme repose sur les prix sur le marché international qui, pendant la plus grande partie des années 1920, sont en hausse.

en 1929, les prix baissent et les regroupements sont pris de court.

déconcertés, les trois gouvernements provinciaux les renflouent mais, en 1930, la situation ne s’améliore pas. au faible niveau des prix vient maintenant s’ajouter un début de sécheresse dans le triangle de Palliser.

C’est au tour d’Ottawa d’intervenir à raison d’un montant fixé par un r.B.

Bennett de pierre (fait cocasse, il est député de Calgary). Bennett verse sa part mais en échange de la reprise des opérations de commercialisation du blé. Les regroupements sont relégués au rôle de collecteurs de céréales dans les silos locaux qui parsèment les Prairies pour les entasser dans de plus grands silos dans les ports d’expéditions céréalières du Canada4. La chute des prix se poursuit et la sécheresse empire. au milieu des années 1930, la terre s’envole alors que des vents chauds balaient les Prairies.

des observateurs situés aussi loin que Winnipeg, sur la frange orientale des Prairies, voient le ciel s’assombrir à l’ouest. Certains agriculteurs abandonnent leur exploitation et prennent la fuite avec leur famille. Ceux qui restent sont en proie à une pauvreté et des pertes sans précédentes dans les parties colonisées du Canada depuis le siècle antérieur. (La pauvreté et la privation ne sont cependant que par trop fréquentes dans les réserves indiennes du Canada.)

La catastrophe qui accable les regroupements ne tarde pas à rattraper les gouvernements des provinces des Prairies. déjà confrontés à de lourdes dettes, les voilà forcés à présent de continuer à emprunter pour offrir de l’assistance sociale aux chômeurs et aux indigents. Les finances municipales, elles aussi, s’évaporent. Les contribuables ne sont pas en mesure de payer leurs taxes et, bien que les municipalités pourraient saisir leurs biens, les défauts de paiement sont si fréquents que les ventes de biens fonciers ne pourraient permettre aux municipalités de couvrir leurs dettes.

L’inquiétude gagne les banques.

elle gagne même les banques de l’Ontario, province diversifiée et relativement plus prospère, où les agriculteurs connaissent une situation 304

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désespérée et où le secteur des pâtes et papiers entre dans la longue nuit de la Crise. des usines à l’arrêt témoignent bien du gâchis que les gens ressentent : une main-d’œuvre formée, des usines modernes et pas d’argent. Certaines parties de la campagne en Ontario et ailleurs reprennent une économie fondée sur le troc, dans laquelle on paie des services, des médicaments par exemple, avec des poulets ou du lait, que les prestataires des services, des médecins, par exemple, sont heureux de recevoir. L’association médicale canadienne se met à publier des articles sur la médecine socialisée à l’intention de ses membres. Certaines choses pourraient se révéler meilleures que le marché.

Même le premier ministre Bennett doit admettre son inquiétude.

C’est un spécialiste des dissensions publiques : « ses manières sont celles d’un gangster de Chicago », observe un homme politique britannique, mais il y a une limite aux humiliations qu’il peut faire subir à ses malheureux collègues provinciaux. Grâce à la gestion fiscale peu inspirée de Mackenzie King pendant les années 1920, c’est le gouvernement fédéral qui est le plus solvable au Canada. Bennett sait très bien que si un autre gouvernement important s’effondre, tombe en faillite, cela aura une incidence sur le crédit dont jouit Ottawa. il ne peut rester indifférent devant le sort des provinces. de petites villes pourraient tomber en faillite et certaines le font : Windsor et saskatoon, pour n’en nommer que deux, mais non toronto et Montréal. Ce n’est que grâce à de l’argent provenant d’Ottawa que certains gouvernements provinciaux sont maintenus à flot et peuvent payer les porteurs de leurs obligations. s’il fallait que la source des subventions se tarisse, quatre ou cinq des neuf provinces feraient face à la faillite.

La lutte pour les subventions dévore la politique intérieure de Bennett pendant les cinq années qu’il reste au pouvoir. Manifestement, sa politique extérieure passe au second plan, même s’il a fait, dès le départ, du commerce et de la politique commerciale le plat de résistance de ses promesses électorales. Les circonstances lui permettent de réaliser une chose sur le plan commercial. Par hasard, la Grande-Bretagne est à bout de patience en matière de libre-échange. L’étalon or a eu raison de la livre sterling et le commerce britannique est en proie aux tarifs élevés imposés par d’autres pays qui défient la logique et le dogme du libre-échange. Le gouvernement britannique, le Gouvernement national, devait passer à l’action et, après avoir écrasé l’opposition aux élections de 1931, il le fait. il imposera des tarifs. temporairement, les dominions en sont exempts étant donné qu’on prévoit la mise en place d’un système de préférences tarifaires impériales.

On organisera une Conférence économique impériale qui réglementera les conditions des échanges commerciaux au sein de l’empire-Commonwealth.

Cette conférence aura lieu à Ottawa en juillet 1932.

 

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Le moment et le lieu de la conférence d’Ottawa sont mal choisis.

il n’y a qu’une salle suffisamment grande dans la capitale canadienne pour accueillir les délégués en provenance de tout l’empire et c’est la Chambre des communes, dans l’édifice du Centre du Parlement, tout dernièrement restauré. La Chambre des communes ne convient pas à une ambiance de collaboration ; c’est la confrontation qui est son fort et l’aménagement de la pièce correspond à cette fonction. Pire encore, personne ne semble avoir tenu compte du climat d’Ottawa ; en juillet, dans la capitale, la chaleur est généralement étouffante et le taux d’humidité très élevé.

Les tempéraments s’échauffent, surtout entre Bennett et les Britanniques, lorsque la délégation britannique s’aperçoit que, si Bennett croit en l’unité économique impériale, il pense qu’il revient à quelqu’un d’autre d’en payer le prix. déjà, le Canada a consenti un tarif réduit à la Grande-Bretagne ; il incombe à présent à la délégation britannique et à celles des autres pays de trouver les moyens de l’égaler. il en ressort une série d’ententes, de forme bilatérale, en vertu desquelles les différentes parties de l’empire s’accordent mutuellement un traitement de faveur sur le plan commercial. en dépit de leur origine déplaisante dans la marmite à pression de Bennett, les « accords d’Ottawa » ont une vaste portée et des effets considérables. Pour prendre un exemple, celui du secteur de l’automobile, le Canada peut exporter dans tout l’empire à des conditions favorables. déjà, les « trois grands » fabricants d’automobiles américains, Ford, General Motors et Chrysler, ont des usines au Canada et voilà qu’ils les agrandissent. Pendant des années par la suite, des véhicules Ford et Chevrolet fabriqués au Canada se retrouveront sur toutes les routes de l’empire, preuve de l’efficacité du fameux (et dernier) tarif impérial.

Comme tous les autres tarifs canadiens, les accords d’Ottawa ont pour effet d’encourager les investissements américains au Canada. ils impressionnent également le gouvernement américain, non par eux-mêmes mais conjointement avec la plus grande catastrophe économique qui ait jamais frappé les états-Unis de mémoire d’homme. Cherchant un motif à la durée et à la gravité de la Crise, les américains le trouvent aux états-Unis même, ou plutôt au Congrès américain.

Pour tous les pays entretenant des échanges commerciaux avec les états-Unis et pour nul autre plus que le Canada, le pouvoir du Congrès sur le commerce fait partie des réalités quotidiennes. dans les années 1890, 1900 et 1920, souvent, les tarifs du Congrès ont fauché les exportations canadiennes. Le plus récent, appelé smoot-Hawley, du nom de ses parrains, n’est pas différent des autres. Bien sûr, le Canada a sa propre politique de tarifs élevés, quoiqu’elle permette de baisser les tarifs envers des pays qui ont signé des accords commerciaux. Certes, il n’y a pas d’accord en place avec les états-Unis et il n’y en a d’ailleurs pas eu depuis l’expiration du 306

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traité de réciprocité de 1854–1866. (Le Canada n’est pas le seul dans ce cas : en 150 ans d’existence, les états-Unis n’ont ratifié que trois accords commerciaux avec d’autres pays, preuve de la jalousie avec laquelle le Congrès protège la souveraineté américaine.) donc, les exportations américaines vers le Canada sont-elles soumises à des tarifs non seulement élevés mais plus élevés. Les accords d’Ottawa semblent signifier aux américains que les pays de l’empire se passeront d’eux.

L’explication qu’en donnent les américains est « nous les avons forcés à le faire ». C’est en partie vrai, bien qu’il faille certainement tenir compte d’autres éléments et explications. réparer les dommages exige un témoignage de la bonne foi américaine et ce témoignage prendra la forme d’une loi adoptée tôt par l’administration roosevelt, la Trade Agreements Act de 1934. Pour la première fois, cette loi stipule que le pouvoir exécutif peut signer des accords commerciaux avec d’autres pays afin de négocier des réductions (réciproques) de tarifs pouvant aller jusqu’à la moitié du niveau des droits américains en place.

r.B. Bennett saute sur l’occasion. ses négociateurs travaillent pendant toute l’année 1935 à la préparation d’un accord et celui-ci est à portée de la main au moment où le mandat de cinq ans du Parlement canadien arrive à son terme et où Bennett doit de très mauvais cœur faire face à des élections générales. il sait que les Canadiens, dans les années 1934-1935, ont une opinion vraiment très favorable des états-Unis, non seulement à titre de riche partenaire commercial mais aussi de modèle de l’orientation à suivre de manière plus générale pour résoudre la Crise.

Le « New Deal » de Franklin roosevelt a le grand avantage de promettre de l’action. il consacre des fonds publics, parfois à profusion, aux améliorations internes. il cherche à en appeler au « parent pauvre ».

Peu importe que les activités du New Deal soient parfois contradictoires ou inefficaces. L’impression qu’en garde le public, dont et en particulier le public canadien, est une impression d’action et de préoccupation. La Crise désarme et discrédite les ennemis de roosevelt, les dirigeants d’entreprises d’antan et leurs alliés politiques. souvent roosevelt s’empare des ondes pour livrer à la nation ce qu’il appelle des « causeries au coin du feu ». Ces causeries parviennent également au Canada.

Bennett saisit le message. À leur grande surprise, à l’hiver de 1935, les Canadiens entendent leur premier ministre proclamer d’une voix grinçante sa propre nouvelle donne. il s’apprête à créer des normes du travail, à légiférer afin que tous bénéficient d’un traitement équitable et à utiliser le pouvoir de son gouvernement au nom des infortunés. et c’est ce qu’il fait pendant la session du printemps du Parlement.

 

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La réaction de Mackenzie King est instructive. King est convaincu, c’est du moins ce qu’il confie à son journal, que Bennett est devenu fou. si c’est le cas, il va devenir fasciste comme Hitler ou le dictateur italien Mussolini.

eux aussi ont promis des mesures vigoureuses au nom des opprimés et, pour un libéral traditionnel comme King, c’est l’apanage des tyrans. King ne partage pas l’enthousiasme récent de Bennett envers roosevelt ou le New Deal. il a ses propres solutions à proposer mais cela ne change rien. il se contente de regarder Bennett se mettre lui-même dans le pétrin, comptant sur le caractère soudain de la conversion de Bennett envers l’action sociale pour miner sa réputation bien établie de conservatisme sans pitié.

Les libéraux font leur campagne électorale de 1935 sous le slogan

« King ou le chaos ». il ne faut pas beaucoup d’imagination pour comprendre qui représente le chaos, certainement pas le doux, rondelet et familier Mackenzie King. King remporte facilement les élections quoique son pourcentage du vote populaire soit moins élevé qu’en 1930. Cette victoire, il la doit à l’effondrement du vote conservateur à 29 pour cent, du jamais vu. deux nouveaux partis remportent aussi des sièges en 1935 : le Crédit social, dont la base se trouve dans un alberta mécontent et appauvri, et la Fédération du commonwealth coopératif (par la suite, le CCF), un parti socialiste surtout fort dans les Prairies5.

Une histoire du Canada
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