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Blanchard, propose et lit une déclaration du président américain, Bill Clinton, faisant état de sa nette préférence envers un Canada uni. Un des ministres de Chrétien, Brian tobin, organise un immense ralliement pro-Canada à Montréal la fin de semaine précédant le référendum et transporte par autocar des milliers de citoyens de tout le Canada, qui viennent y exprimer leur patriotisme et leur amour du Québec – au sein du Canada.
C’est un geste exceptionnel, qui a pour effet de remonter d’un cran le moral des fédéralistes ; qu’il atteigne réellement son objectif ou qu’il constitue pour de nombreux Québécois francophones un exemple frappant de plus de manipulation de l’extérieur demeure discutable. La déclaration américaine est plus proche de la cible et le camp du « oui » n’a d’autre riposte que du bafouillage10.
Le 30 octobre, le résultat est on ne peut plus serré. si, en début de soirée, Parizeau croit en sa victoire, le vote penche graduellement en sa défaveur et en celle de sa cause. Furieux, le premier ministre fonce au rassemblement du « oui » et proclame que les souverainistes ont été privés de leur victoire en raison de deux choses : l’argent et les votes ethniques.
il n’a pas tort et d’autres premiers ministres du Québec l’ont dit avant lui, principalement le premier ministre nationaliste duplessis en 1944, lorsqu’il a expliqué que le fait que les libéraux avaient engrangé plus de votes n’avait aucune importance parce que c’étaient des votes anglais. et, de fait, s’il n’en avait tenu qu’aux électeurs francophones, l’option de l’indépendance l’aurait emporté.
Parizeau avait prévu d’agir sans perdre de temps. il aurait proclamé la souveraineté du Québec même s’il n’avait recueilli que 50 pour cent des voix plus une. il s’attendait à ce que la France reconnaisse un Québec souverain et a affirmé en avoir l’assurance11. si cela avait été le cas, sans doute la France n’aurait-elle pas été le seul pays à le faire – on a entendu parler de la reconnaissance de certains pays latino-américains et, peut-être, de certains pays de l’afrique francophone.
Ce ne sont maintenant que des questions hypothétiques, tout comme Parizeau. sa harangue chargée d’émotion le soir du référendum met fin à sa carrière. il est devenu encombrant même pour la plupart des séparatistes, qui estiment qu’il les a ramenés à une époque distante et plus sombre. Parizeau annonce sa démission et, en janvier 1996, inévitablement, c’est Lucien Bouchard qui lui succède.
aux yeux des Canadiens anglais, Bouchard n’est guère un meilleur choix. dès le départ, il explique que les propositions à l’effet qu’une partie du Québec se sépare de la province pour demeurer au sein du Canada sont absurdes puisque, pour reprendre ses propos, « le Canada n’est pas vraiment un pays ». Le Québec, lui, en est un. Mais si le Québec est « vraiment un 464
UnE HIsTOIRE dU Canada
pays », d’où cela vient-il ? sans doute veut-il dire que c’est davantage qu’une expression géographique mais s’il est justifié de parler de « vrai pays », c’est comme patrie des Québécois – des Québécois francophones. s’il ne s’agit que d’un autre état multiethnique, comme le Canada, avec inversion des majorités, à quoi tout cela rime-t-il ?
il n’est pas nécessaire de répondre à cette question, à tout le moins pendant les quelques années suivantes. Le Québec demeurera au sein du Canada. Les lois canadiennes vont s’y appliquer et les Québécois vont payer leurs impôts et voter aux élections canadiennes. C’est un Québécois qui est premier ministre du Canada et il y a des Québécois à des postes importants dans son cabinet. Jean Chrétien a reçu un choc terrible pendant le référendum. La population canadienne se tourne à présent vers lui pour concocter une stratégie destinée à ce qu’il n’y ait plus jamais de choc semblable.
On décrit généralement la réaction au séparatisme comme le « plan a » ou le « plan B ». Le plan a est celui du compromis, des concessions, des tentatives d’adaptation de la Constitution et des institutions fédérales pour proposer des accommodements aux nationalistes québécois plus modérés.
Le problème afférent à cette option est que la Constitution est virtuellement immuable, dans un avenir prévisible à tout le moins12. Les accords du lac Meech et de Charlottetown l’ont démontré. en 1996, Chrétien parvient à faire adopter par la Chambre des communes une résolution reconnaissant le Québec comme « société distincte », sans que cela ait le moindre effet perceptible dans la province. réunis à Calgary en 1996, les premiers ministres provinciaux font de leur mieux en émettant une déclaration anodine proclamant le droit du Québec de promouvoir son « caractère unique […]
au sein du Canada ». d’autre part, les Canadiens hors Québec témoignent de leur lassitude à la perspective d’une suite incessante de référendums, tenus chaque fois que les séparatistes pourront le faire, à moins ou jusqu’à ce que les séparatistes l’emportent.
Le plan B, par ailleurs, se définit comme de la « fermeté affectueuse ».
il a pour prémisse le fait que le Canada s’est montré par trop accommodant envers les séparatistes québécois, jouant le jeu du référendum selon les règles imposées par les séparatistes eux-mêmes, y compris des questions référendaires libellées pour obscurcir la question de l’indépendance13. Quel autre état souverain tolérerait un vote périodique sur la question de savoir s’il devrait continuer à exister au sein de son territoire actuel ?
La fermeté affectueuse prend différentes formes. Le thème commun en est que les concessions dans l’esprit de l’accord du lac Meech, de celui de Charlottetown ou de la déclaration de Calgary ne mèneront à rien. selon les promoteurs d’une des versions, si le Canada est divisible, le Québec 17 • nouveau millénaire, nouvel univers