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UnE HIsTOIRE dU Canada
L’empire dépend en grande partie de la non-résistance de ses sujets et de la faiblesse des ennemis. C’est avant tout le prestige, fondé sur une flotte importante allant montrer le drapeau sur toutes les mers du globe, qui assure la défense de l’empire britannique et des intérêts britanniques. il arrive que l’opinion publique britannique s’énerve devant ce qu’elle perçoit comme des menaces pour l’empire. C’est ce qui se produit en 1885, quand un général téméraire, Charles Gordon, en manœuvres au soudan, parvient à se faire assiéger par des insurgés musulmans dans la ville de Khartoum.
L’opinion publique en Grande-Bretagne oblige le gouvernement libéral de Gladstone à envoyer des renforts le long du nil pour venir en aide à Gordon. Quelqu’un au War Office rappelle qu’il y a au Canada de grandes rivières et des flotteurs de bois ; c’est exactement ce qu’il faut.
Le gouvernement britannique fait sur le champ appel au premier ministre, sir John a. Macdonald. Ce dernier expédie bel et bien des flotteurs de bois, qui ne sont nullement des soldats, mais la situation de Gordon s’aggrave – il sera débordé et tué par les insurgés en février 1885 – de sorte qu’on fait pression sur le Canada pour qu’il fasse davantage.
Macdonald résiste à la pression. Gladstone est le premier ministre porté sur l’économie qui a retiré la garnison britannique du Canada en 1871, laissant aux Canadiens le soin d’assurer leur défense militaire. C’est le gouvernement de Gladstone qui a insisté pour apaiser les américains grâce au traité de Washington cette même année. Macdonald ne l’a pas oublié.
Pourquoi, demande-t-il, devrions-nous « sacrifier nos hommes et notre argent pour sortir Gladstone et cie du guêpier où ils sont allés se fourrer en raison de leur propre imbécillité24 » ? L’armée canadienne, en réalité, ne quitte pas le pays. sa seule activité à l’étranger réside dans le départ des diplômés du Collège militaire royal du Canada, fondé tout récemment (en 1876), pour des unités de l’armée britannique à l’étranger, étant donné qu’on ne trouve aucune façon de mettre leurs talents à profit au pays25.
Macdonald a bien fixé une norme pour résister à l’aventurisme impérial, mais ce n’était rien de difficile. Gladstone renonce à intervenir au soudan, préférant concentrer ses efforts sur l’éternel problème du renforcement des liens avec le gouvernement irlandais. il ne connaît pas plus de réussite dans cette tâche puisqu’il chasse de son Parti libéral une faction « unioniste » dirigée par l’un de ses ministres les plus prometteurs, Joseph (Joe) Chamberlain. Ce dernier finit par amener les ex-libéraux dissidents à s’allier au Parti conservateur. au moment de l’accession au pouvoir des conservateurs en 1895, Chamberlain a le choix entre les postes au sein du cabinet. Curieusement, aux yeux de ses contemporains, il opte pour le secrétariat aux colonies, jusque-là plutôt obscur et bas de gamme.
10 • explosion eT marasme, 1896–1914