LE GOUVERnEmEnT ROyAL
si la Compagnie des Cent associés était parvenue à remplir son rôle, la nouvelle-France atteindrait en 1660 une population de trente mille âmes, aurait une communauté agricole florissante et capable d’assurer son autonomie alimentaire, et aurait remis régulièrement de l’argent à ses propriétaires et investisseurs en France. au lieu de cela, la colonie ne compte que trois mille habitants, certains disséminés autour de la baie de Fundy ou à terre-neuve, mais pour la plupart dans des enclaves le long du saint-Laurent. Ce nombre ne soutient guère la comparaison avec les cinquante mille colons anglais de nouvelle-angleterre ou les trente mille de virginie, ou encore les dix mille Hollandais en nouvelle-Hollande.
il est une chose qui ne manque pas dans la colonie : la politique. On observe des conflits entre les marchands et les pouvoirs publics, entre l’église et les marchands, entre l’église et le gouverneur, et au sein de l’église. Les pouvoirs religieux s’opposent au commerce de l’alcool avec les indigènes et parviennent à convaincre le gouverneur de l’interdire, provoquant ainsi la fureur et le malheur des marchands. Mais le gouverneur suivant lève l’interdiction et le commerce de l’alcool devient plus florissant que jamais.
tous ces événements surviennent sur la toile de fond de l’interminable guerre avec les iroquois, qui reprend en 1658, isolant non seulement la nouvelle-France mais lui imposant des raids organisés par des bandes qui tuent ou kidnappent ses habitants à proximité directe des trois postes fortifiés de Québec, trois-rivières et Montréal. Même l’Île d’Orléans, aux portes de Québec, n’est pas à l’abri des raids iroquois. Les iroquois rôdent loin dans le nord, vers la baie d’Hudson, et dans l’Ouest, où ils combattent leurs lointains voisins sioux à l’ouest des Grands Lacs. en ce qui a trait à l’acadie, elle a été annexée au terme d’une expédition venue de nouvelle-angleterre en 1654 et les l’anglais n’ont nullement l’intention de la rendre –
ils ne le feront qu’en 16707. affaiblie et en proie à de grandes difficultés, la nouvelle-France a besoin d’aide. Une seule possibilité s’offre à elle.
2 • Terre à coloniser
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en France, le gouvernement royal s’active. Âgé de 23 ans, Louis Xiv finit par prendre le contrôle de sa propre administration en 1661. À court terme, c’est une bonne chose car Louis sait qu’il doit ramener l’ordre dans son gouvernement et remplir ses coffres s’il espère trouver la gloire qu’il recherche pour lui-même et pour son pays. Les avantages s’étendront aussi loin que son pouvoir, donc jusqu’en nouvelle-France et Louis ramènera l’ordre dans cette région également. À long terme, toutefois, la soif de pouvoir de Louis renferme les graines de sa propre perte, car ses ambitions le poussent à livrer des guerres interminables qui engageront aussi la nouvelle-France et dont les effets se feront sentir bien après sa propre mort.
Louis décide de faire de la nouvelle-France une province royale, sous l’autorité directe de Paris, comme toutes les autres provinces françaises.
suivant l’ordre du roi, les Cent associés renoncent à leurs droits envers la colonie en échange d’une compensation non précisée et sans le moindre doute insuffisante. Un gouverneur est nommé. Un Conseil souverain consultatif est formé. L’évêque est, à tout le moins de façon temporaire, apaisé. Louis envoie un régiment de troupes régulières dans la colonie sous les ordres d’un commandant noble et d’expérience. et cela, promet Louis, n’est qu’un début.
C’est le début de la fin. Les premières colonies d’amérique du nord – françaises, anglaises et hollandaises – sont les fruits de la détermination publique et de l’entreprise privée. dans leur faiblesse, les états européens s’en sont remis à des particuliers et à des sociétés pour revendiquer, explorer et coloniser des territoires situés au-delà des océans.
attirés par la perspective d’une immense richesse, d’abord les trésors de l’Orient puis les profits de la traite des fourrures, des entrepreneurs ont pris des risques et ils ont failli perdre leur mise dans ces tentatives.
Mais la nouvelle-France a la chance que son fondateur, Champlain, était bien davantage qu’un visionnaire. son choix avisé de Québec comme base et capitale de la nouvelle-France a donné à la colonie une forteresse défendable, un climat rude mais sain et l’isolement par rapport aux colonies anglaises du sud. tous ces éléments porteront leurs fruits pour la nouvelle-France pendant le siècle suivant.
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