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personnelle, de la justice. au pays et à l’étranger, l’époque est aux grèves et à l’agitation politique, les groupes se bousculant pour obtenir une plus grande part du budget national. Le séparatisme refuse de disparaître, quoique la crainte qu’il inspire contribue à la victoire du Parti libéral provincial à Québec en 1970, sous la direction de robert Bourassa16, un nouveau chef qui n’a pas encore fait ses preuves. rené Lévesque et son tout nouveau Parti québécois arrivent à obtenir 23 pour cent des votes mais seulement sept sièges au sein de l’assemblée législative (renommée l’assemblée nationale dans le but de confirmer la position de la nation québécoise). L’Union nationale obtient plus de sièges que le PQ mais moins de votes ; elle commence sa descente aux enfers sur le plan politique tandis que le PQ devient la solution de rechange aux libéraux.
si le Québec semble occuper une place sûre au sein du Canada, la réalité est toute autre. Les membres extrémistes du mouvement séparatiste n’ont pas renoncé aux bombes et aux autres actes de violence et, en octobre 1970, ils réussissent à kidnapper deux victimes : le consul britannique à Montréal, James Cross, et le ministre du travail de robert Bourassa, Pierre Laporte17. en raison du statut diplomatique de Cross, son sort est entre les mains du gouvernement fédéral, qui a compétence sur les affaires étrangères.
La panique s’ensuit. Le gouvernement Bourassa n’a aucune idée de ce à quoi il est confronté, le service de police ne sait pas qui arrêter et les médias entretiennent la notion d’une conspiration à plusieurs têtes, inconnue, inconnaissable, mais infiniment dangereuse. Les terroristes ont pris le nom de Front de libération du Québec (FLQ), un nom impressionnant faisant une analogie entre le mouvement de libération algérien, le Front de libération nationale (FLn), et sa lutte réussie contre la domination coloniale. en fait, le FLQ est un rassemblement de petits groupes radicaux dispersés (qu’ils appellent « cellules »), entre lesquels les communications sont très difficiles et incertaines en cette époque préinformatique.
Le FLQ présente avec solennité une série d’« exigences », y compris la lecture télévisée de leur manifeste écrit d’un ton populiste, sans oublier de l’or, le transport à l’extérieur du pays et la libération de divers criminels séparatistes qui ont déjà été emprisonnés pour près de 250 crimes commis entre 1963 et 1970.
L’élite politique québécoise est ébranlée. À Montréal, au terme d’une assemblée publique – regroupant principalement des étudiants – les participants scandent « FLQ, FLQ ». Une confrontation entre les autorités et les partisans du FLQ est la formule que prescrivent les théoriciens radicaux dans le cas d’émeutes et de révolution – un scénario bien connu sur les campus nord-américains à la fin des années 1960. Certains nationalistes et 412
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séparatistes éminents demandent que le gouvernement Bourassa négocie avec les terroristes. des déclarations imprudentes sont faites à l’effet que le gouvernement n’a plus la capacité ni la légitimité de régir (il n’est élu que depuis six mois). Bourassa agit finalement de façon décisive, demandant instamment au gouvernement fédéral de mettre en application la Loi sur les mesures de guerre, qui confère des pouvoirs d’urgence au Cabinet fédéral en lui permettant de les utiliser plus ou moins comme bon lui semble.
de plus, Bourassa demande et obtient l’aide de l’armée canadienne, dont la tâche est de maintenir l’ordre au Québec, de protéger les dignitaires des enlèvements et de contribuer à contenir la crise en général. Les soldats défilent leurs armes à la main, l’air redoutable ; la seule blessure dont on fait état par suite de l’action militaire est auto-infligée. se servant des pouvoirs qui lui sont conférés par la Loi sur les mesures de guerre, le service de police arrête près de cinq cents individus qui ont peut-être (ou n’ont peut-être pas) quelque chose à voir avec l’agitation séparatiste. aux yeux des autorités, l’agitation compte probablement plus que le séparatisme.
Bien que ces initiatives renforcent le pouvoir de l’état, elles n’arrivent pas à sauver Laporte, qui est tué par ses kidnappeurs et dont le corps est retrouvé dans le coffre d’une voiture abandonnée près d’un aéroport. Le meurtre provoque un effet traumatique important mais l’effet n’est pas celui auquel les terroristes s’attendent. L’appui envers le FLQ diminue mais non l’appui envers le séparatisme, qui n’est en aucun cas prescrit ni supprimé.
en fin de compte, la police trouve l’endroit où Cross a été caché et négocie sa libération. ses kidnappeurs sont envoyés en exil à Cuba. Les autres terroristes – ceux qui ont enlevé et tué Laporte – sont découverts dans le grenier d’une maison de campagne, arrêtés et jugés. ils reçoivent des sentences dont la sévérité varie mais ils seront finalement tous libérés pour être fêtés à l’occasion par les partisans séparatistes.
C’est la fin de la crise d’octobre, qui a duré plus ou moins trois mois ; l’aboutissement de sept ans de violence sporadique qui avait pour but d’amener le Québec à un état révolutionnaire afin de le libérer des forces de la répression et du colonialisme. Les terroristes n’ont jamais réussi à sortir de la marge, quoique de nombreux acteurs de tous les camps se soient rencontrés, le Québec étant un endroit restreint et son élite compacte. Pierre vallières, un théoricien révolutionnaire, a même travaillé avec trudeau dans le cadre d’une manifestation antérieure. après un séjour en prison, vallières trouve un emploi financé par le gouvernement fédéral, ce qui est peut-être la façon de trudeau de montrer que même les révolutionnaires peuvent être achetés.
15 • deux naTionalismes