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Québec partage cet avis. La province ne veut pas prétendre à un statut minoritaire au sein du Canada ; pourtant, compte tenu de ses 5,1 millions de francophones parmi une population de 18 millions (selon le recensement de 1961), elle ne peut y échapper. Cela ressemble étrangement au débat sur la représentation selon la population des années 1850. dans les années 1860, les politiciens ont trouvé une solution précaire (et de courte durée) consistant en une « majorité double ». Les politiciens québécois des années 1960 introduisent la notion similaire des « deux nations ». deux nations peut signifier n’importe quoi. Cela peut signifier « statut particulier », une expression obscure caractéristique de cette période, ou statut d’associé, une autre expression indéfinie au goût du jour11. Cela peut aussi vouloir dire que le consentement des deux nations est nécessaire – par exemple, pour modifier la Constitution, pour des questions importantes ou pour n’importe quelle raison. Les relations entre le Canada anglais et le Québec ne dépendront plus de la représentation selon la population mais du consentement mutuel.
À l’été 1967, dans le cadre d’un congrès aux chutes Montmorency, près de Québec, le Parti progressiste-conservateur jongle avec l’idée des deux nations. il est décidé que le « Canada est issu de deux peuples fondateurs (deux nations) ayant des droits historiques, auxquels se sont joints des gens d’autres pays ; la Constitution devrait faire en sorte qu’ils puissent croître et se développer de façon harmonieuse et soient traités sur un pied d’égalité partout au Canada ». Le chef de l’Union nationale du Québec, daniel Johnson, qui a succédé à Jean Lesage en 1966 après une victoire surprise, se réjouit de cette doctrine. dans son livre, Égalité ou indépendance, Johnson propose qu’on accorde au Québec un statut égalitaire au reste du pays, ce qui lui permettrait de continuer de faire partie du Canada, ou de ce qui en reste. À défaut de l’égalité, telle que définie par Johnson, le Québec devrait choisir l’indépendance.
Peut-être parce que les Canadiens anglais refusent de croire qu’il peut vouloir dire qu’environ cinq millions de Québécois francophones peuvent être égaux aux treize ou quatorze millions de Canadiens non francophones, Johnson agit plus ou moins comme les autres premiers ministres québécois avant lui. Opportuniste de pratique, sinon de caractère, il cherche un moyen de renforcer sa position vis-à-vis des Canadiens anglais et le trouve à Paris.
Charles de Gaulle, symbole de la résistance française durant la deuxième Guerre mondiale, est retourné à la vie politique en 1958 et a été élu président en 1959. de Gaulle est président lors de l’abolition de l’empire colonial français, qu’il juge nécessaire, et qui met un terme à la guerre d’algérie en 1962. il affronte des généraux récalcitrants et des rivaux mécontents et sort triomphant de ce combat en 1963. enfin, grâce à 408
UnE HIsTOIRE dU Canada
son adroite diplomatie, il rétablit la prééminence de la France en europe, mais cela ne suffit pas. après tout, il n’y a qu’environ soixante millions de francophones dans le monde, comparativement aux centaines de millions d’anglophones issus de l’empire britannique. La France n’est pas non plus une puissance économique de premier ordre et sa puissance militaire est limitée de façon stricte. dans ces circonstances, de Gaulle décide de reconquérir les francophones de l’amérique et de les rappeler à leur destin, quel qu’il soit.
Les objectifs de de Gaulle sont aussi obscurs que ceux de Johnson mais pour l’instant, en 1966-1967, tous deux conviennent que le statu quo est inacceptable. Manifestement, de Gaulle est en faveur de l’indépendance, compte tenu de la dichotomie entre l’égalité et l’indépendance exprimée par Johnson. de son côté, Johnson préférerait probablement l’égalité. Pendant un certain temps, cependant, ils empruntent la même direction, sur une route qui mène à Montréal, à l’été 1967.
L’ExpO 67 ET LES AnnéES SUiVAnTES
en 1967, le Canada célèbrera son centenaire et pour marquer l’occasion, une exposition universelle se tiendra à Montréal au cours de l’été. Le gouvernement diefenbaker en entreprend la planification et, au moment où Pearson arrive au pouvoir, le plan est très avancé. Pearson et ses collègues organisent des célébrations à la grandeur du pays mais la pièce maîtresse se trouve à Montréal, où plusieurs îles ont été reliées au milieu du saint-Laurent pour accueillir le site de l’expo 67, « terre des Hommes ».
Le design canadien est représenté à son meilleur et les gouvernements du monde entier sont heureux de la vitrine que leur offre l’expo. Les Canadiens attendent l’ouverture avec nervosité mais l’expo se révélera une grande réussite.
On attend la visite de monarques, de présidents et de premiers ministres. Même le président des états-Unis, Lyndon Johnson, qui ne veut pas y aller, change finalement d’idée. Johnson a ses propres problèmes, une guerre au vietnam et une guerre imminente au Moyen-Orient. de plus, il n’aime pas Lester Pearson, mais il est prêt à faire ce qu’il faut. La reine elizabeth ii, monarque du Canada et de la Grande-Bretagne, s’y rend aussi.
Charles de Gaulle s’y rendra sans aucun doute, en tant que représentant de l’autre mère patrie.
assez tardivement, compte tenu du fait que les visites doivent être planifiées avec précision afin de ne pas se chevaucher, de Gaulle décide de se rendre à Montréal. en juillet 1967, il arrive à Québec à bord d’un navire 15 • deux naTionalismes