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particulièrement le premier ministre britannique anthony eden, voient cette nationalisation comme un défi lancé à leur suprématie jusque-là incontestée à titre de puissances impériales au Moyen-Orient. eden et les Français décident d’envahir l’égypte pour reprendre possession du canal. Pour eden, c’est la dernière chance de faire la preuve que la Grande-Bretagne demeure une grande puissance et il n’est prêt à écouter quiconque viendra le contredire.
et cela comprend le Canada, dont le gouvernement estime qu’il est grand temps pour les Britanniques de se retirer définitivement d’égypte, et les états-Unis, dont le président, dwight d. eisenhower, doute du caractère équitable et réalisable de la réaffirmation, par la Grande-Bretagne, de son empire. Les Canadiens sont sensibles aux dommages que subirait l’image de l’Occident dans le monde sous-développé en raison de l’invasion de l’égypte par les Britanniques – il faut jongler avec les perceptions de « néo-impérialisme » et de « néo-colonialisme » dans le tiers Monde et eden semble déterminé à prouver que ces expressions décrivent un phénomène bien réel.
Chez les Canadiens, l’inquiétude monte aussi devant la possibilité qu’un différend entre la Grande-Bretagne et la France, d’une part, et les états-Unis, de l’autre, vienne perturber l’alliance atlantique et risque d’anéantir l’Otan. Pour le Canada, c’est carrément impensable.
en réaction aux divergences par rapport à ses alliés nord-américains, eden cherche à les duper jusqu’au moment-même de l’invasion de l’égypte.
Parmi ses plans figure aussi une alliance secrète avec israël, qui envahit l’égypte quelques jours avant la date prévue pour le débarquement des troupes britanniques et françaises. dès le début de l’invasion anglo-française, les choses tournent au vinaigre, non pas tant sur le plan des combats que sur celui du contexte diplomatique qui préside à leur déroulement. adoptant un comportement ostentatoire, les américains gardent leurs distances mais, de façon beaucoup plus appropriée, ils refusent leur aide aux Britanniques et aux Français sous forme de pétrole et d’argent. Les belligérants ont besoin de pétrole pour combler le manque d’approvisionnement en provenance du Moyen-Orient, que les fournisseurs arabes, favorables à l’égypte, ont interrompu, et d’argent pour soutenir la livre sterling et le franc français, confrontés à la menace de ventes massives sur les marchés mondiaux des devises sous l’emprise de la panique. ni les Britanniques ni les Français ne disposent des ressources suffisantes pour les sauver, si bien que, dès cet instant, leur projet est voué à l’échec.
C’est désormais le tiers Monde qui occupe le centre de la scène.
sous l’impulsion de l’inde, dont le premier ministre nehru entretien des liens étroits avec nasser, les pays du tiers Monde proposent de condamner Britanniques et Français devant les nations Unies. sur le plan de la propagande, cela constituerait une cuisante défaite pour les puissances 354
UnE HIsTOIRE dU Canada
occidentales, d’autant plus qu’elle surviendrait au moment précis où l’Union soviétique déclare sans ambages que sa domination en europe de l’est ne dépend pas de l’assentiment de ses alliés mais bien de sa propre puissance militaire, déployée sans merci contre la Hongrie. Pour les diplomates occidentaux, il se révèle impossible de se gagner le soutien du tiers Monde contre ce genre de calamité au moment même où la Grande-Bretagne et la France envahissent l’égypte. Le haut-commissaire canadien en inde, escott reid, est particulièrement irrité, quoiqu’il ne devrait pas être extrêmement surpris. déjà, Pearson, son ministre, a pris sa décision : avec les indiens, comme avec n’importe quel autre pays du tiers Monde, les remontrances sont inutiles. Les intérêts étant divergents, il ne pourrait y avoir de soutien27.
Par ailleurs, aux nations Unies, Pearson fait montre de son talent pour présenter le point de vue d’une coalition invraisemblable dont les parties sont aussi bien les états-Unis que l’inde. il camoufle une défaite diplomatique pour la Grande-Bretagne et la France en créant un force de
« maintien de la paix » de l’OnU qui, dans un premier temps, s’interposera entre les combattants le long du canal de suez, puis remplacera les Britanniques, les Français et les israéliens après leur retrait. Le Canada apporte sa contribution à cette force, baptisée FUnU (Force d’urgence des nations Unies), placée à l’origine sous le commandement d’un général canadien. Pour Pearson, qui obtiendra le prix nobel de la paix pour ce haut fait, c’est un triomphe diplomatique. Le comité des prix nobel reconnaît le talent diplomatique singulier de Pearson, qui, partant de rien ou presque, est parvenu à concocter une coalition et une solution. s’il n’y était pas parvenu, il n’y aurait sans doute pas eu de conflit important mais aussi bien les nations Unies que l’alliance occidentale, de même que les relations entre l’Occident et le tiers Monde, en auraient subi les conséquences.
L’invasion de la Hongrie par l’Union soviétique en 1956 a elle aussi des conséquences pour le Canada. Le gouvernement fédéral accepte un afflux de réfugiés hongrois fuyant devant l’invasion soviétique et la vengeance du gouvernement fantoche mis en place par les soviétiques à Budapest. simultanément, le Parti Communiste du Canada entre en phase terminale. déjà affaiblis par leur asservissement total envers l’Union soviétique, les communistes voient leur prétention à l’autorité morale sapée par l’invasion soviétique en Hongrie, très médiatisée, particulièrement à la télévision. À cause de l’affaire hongroise, ils perdent un grand nombre de leurs membres les plus prometteurs, dont certains se révéleront par la suite de très bons capitalistes pourvu qu’on leur en donne l’occasion.
si la dissension politique s’apaise sur le flanc gauche, elle s’intensifie du côté droit. L’opposition progressiste-conservatrice a mené un combat politique vain contre les libéraux au pouvoir depuis des décennies pour 13 • des Temps Bénis, 1945–1963