GUERRE ET DiViSiOn

au Canada comme partout ailleurs, les premiers mois de la Première Guerre mondiale sont teintés d’optimisme. Les foules sont enthousiastes, les orchestres jouent et la population et les politiciens échangent des vœux chargés de motivation et d’unité. Pour l’instant, on ne doute pas de la justesse de la cause de l’empire, du bien et du mal qui est en jeu et du fait que le Canada doit faire tout en son pouvoir pour faire triompher le bien. sir Wilfrid Laurier proclame une trêve politique et annule toutes ses réunions partisanes. en août 1914, quand le Parlement se réunit en session d’urgence, les libéraux collaborent à tous égards ; Laurier aide Borden à définir la mesure législative d’urgence du gouvernement, la Loi sur les mesures de guerre 4. Même Henri Bourassa, éditeur et fondateur du journal Le Devoir (la « bonne presse »), à Montréal5, convient que l’invasion de la Belgique par l’allemagne justifie la résistance de la Grande-Bretagne et de ses alliés6.

Le gouvernement s’engage à fournir de l’argent, du ravitaillement et des troupes pour la guerre. L’argent représente sans conteste un problème.

Le pays connaît une dépression, le commerce ralentit et les importations sont en baisse, entraînant dans leur sillage les recettes douanières qui constituent la principale source de revenus du gouvernement. Le gouvernement possède peu d’instruments économiques de son ressort. il n’y a pas de banque centrale ni d’impôt sur le revenu. Les provinces ont leurs propres besoins en matière de revenus. ainsi, le gouvernement fait ce que les gouvernements canadiens ont toujours fait lorsqu’ils font face à un manque de fonds : il demande un prêt au marché financier de Londres. On 11 • Briser le moule, 1914–1930

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le lui accorde mais en le mettant en garde de ne plus compter sur Londres à l’avenir puisque le gouvernement britannique a peu d’argent à consacrer aux colonies. dans le cas du Canada, il existe une solution évidente : new York. C’est le signe que les temps changent et ils changeront encore plus au cours des prochaines années.

en ce qui a trait aux matières consommables, le Canada a suffisamment de blé et la récolte approche. Le Canada offre du blé à la Grande-Bretagne, qui accepte. Quant aux troupes, les miliciens de partout au pays sont impatients de combattre. rares sont les soldats de métier qui freinent l’enthousiasme des recrues par leurs conseils. Le ministre de la défense, sir sam Hughes, est extrêmement enthousiaste, sa seule crainte étant que la guerre se termine avant que ses troupes puissent se rendre en europe.

Hughes n’est pas le seul à vouloir faire son effort de guerre. Les recrues envahissent les installations militaires. À edmonton, deux mille hommes défilent à partir du United Services Club derrière un orchestre qui joue « Rule Britannia » ainsi que les hymnes nationaux français et russes7.

Le même enthousiasme déferle sur le pays – à l’exception, apparemment, des régions francophones du Québec. Les politiciens suivent la foule, désavouant publiquement le sectarisme politique et lançant un appel à l’unité. Cependant, comme toujours, le besoin en matière de compétences politiques et l’art du compromis rétabliront le sectarisme politique en l’espace de quelques mois.

Hughes assemble rapidement les composantes d’une armée à l’extérieur de la ville de Québec et l’envoie en europe sans aucune préparation ni formation sur le premier navire disponible. Le Corps expéditionnaire canadien (CeC), comme on l’appelle, devient une division du Corps expéditionnaire britannique mais il faudra quelque temps avant que les Canadiens ne débarquent en France. ils doivent apprendre à défiler, à tirer et à creuser. Le Corps de santé doit apprendre à faire face à l’hygiène et à la maladie : les premières pertes du CeC se produisent au camp, en angleterre, loin du champ de bataille.

À ses débuts, le CeC consiste en une force amatrice dirigée par des commandants amateurs, enthousiastes mais indisciplinés8 (paradoxalement, les quelques officiers de la force permanente dont les compétences techniques sont nécessaires – les transmissions et l’artillerie, par exemple – sont retenus au Canada afin d’aider au fonctionnement de l’organisation militaire). À

l’arrivée du CeC en Grande-Bretagne, les Britanniques fournissent des officiers de métier pour renforcer ses rangs, en particulier pour les postes d’état-major. Plus le rang est élevé et plus la fonction est technique, plus il est probable que l’officier choisi sera britannique.

 

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il en va de même pour beaucoup de soldats. Le Canada connaît une immigration britannique importante avant 1914 (en 1911, plus de dix pour cent de la population canadienne est britannique)9. Beaucoup de ces immigrants sont déçus de ce qu’ils trouvent : le Canada n’est pas tout à fait conforme à leurs attentes. Un grand nombre sont des hommes célibataires et, en 1914, beaucoup de célibataires sont sans emploi et, par conséquent, relativement mobiles. La réputation du Canada en tant que terre d’avenir est passablement mise à rude épreuve, en particulier face aux comptes rendus sur les conditions des taudis, qui sont similaires à celles du tiers-monde. On rapporte qu’à Montréal, le taux de mortalité infantile est le même que celui de Calcutta. évidemment, beaucoup de soldats canadiens ne laissent pas grand-chose derrière eux. au sein du premier contingent, qui compte 36 267 soldats – ceux qui quittent à la fin de mars 1915 – 23 211

sont des immigrants britanniques, 10 880 sont nés au Canada, et de ces derniers, 1 245 sont francophones10.

dès le début, il est clair que le Canada ne s’engage pas dans la guerre en tant que pays uni. Bien sûr, rien ne s’oppose vraiment à son engagement mais l’enthousiasme officiel cache des signes d’inquiétude. La Presse avance que les Canadiens français pourraient s’enrôler dans des unités qui serviront dans l’armée française ou peut-être même ne pas s’enrôler du tout : le Canada servirait mieux l’empire en envoyant du blé et d’autres produits de base. L’hésitation d’un côté est à la mesure des doutes de l’autre.

À Montréal, la police dissuade même les citoyens de chanter « Ô Canada »

plutôt que l’hymne officiel « God Save the King ».

anglophones et francophones ont des opinions divergentes. il y a toujours les préjugés : la crainte de l’autre langue ou de la religion catholique ou, inversement, des protestants. dans les provinces anglophones, on conteste l’usage du français comme langue de l’enseignement, qu’on a supprimé dans l’Ouest et qu’on remet en question en Ontario, où l’enseignement du français a été banni par le gouvernement provincial dans les systèmes scolaires autant publics que confessionnels. L’initiative du gouvernement, qui reçoit l’appui de la hiérarchie catholique anglophone de l’Ontario, est contrôlée par des brigades d’inspecteurs scolaires11. Or, comment les soldats canadiens-français peuvent-ils se battre pour la justice à l’étranger si elle leur est refusée dans leur pays ?

Le gouvernement fédéral ne peut pas changer grand-chose en ce qui concerne les écoles et la langue ; la dernière fois qu’il s’y est essayé, au Manitoba en 1896, il a essuyé un revers. Borden montre peu d’intérêt pour cette question et encore moins pour ce que le faible contingent canadien-français peut lui dire dans son cabinet. Le gouvernement de l’Ontario –

conservateur, comme Borden, et fort de puissants sympathisants au sein de son cabinet – refuse de bouger. Par conséquent, Borden ne fait rien.

 

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La question des « écoles de l’Ontario » inspire une certaine animosité dans la relation entre les francophones et les anglophones durant la Grande Guerre et n’encourage en rien le recrutement des Canadiens français au cours de ce conflit. Pourtant, l’antipathie des Canadiens français pour les aventures militaires outre-mer est déjà bien établie – les antécédents de la guerre d’afrique du sud et de la controverse navale de 1909-1913 l’ont établi assez clairement. depuis longtemps, les opinions diffèrent à l’égard de certaines grandes questions d’intérêt public – la langue et les écoles dans l’Ouest ainsi que la rébellion de riel en sont des exemples évidents.

il existe également une forte tradition de réconciliation et de compromis dans le régime politique national, en particulier dans les deux grands partis politiques, conservateur et libéral. Laurier est pratiquement l’incarnation parfaite de la tradition, se faufilant entre les obstacles, équilibrant les intérêts et les préjugés, cédant lorsqu’il le faut, approuvant et progressant. des villes comme Montréal et Québec ont leur propre version à petite échelle du régime national et les élites politiques et commerciales des deux langues sont en bons termes, ne pouvant faire autrement. À Montréal, avant 1914, le maire est tantôt anglophone tantôt francophone. après 1914, même si le mandat de maire passe aux mains des Canadiens français de façon permanente, les anglophones demeurent un aspect important de la politique municipale.

sur la grande question de l’empire, les opinions divergent. Les Canadiens français ne sont pas des républicains. Les Canadiens français notables acceptent les titres de chevalier qui pleuvent sur les Canadiens influents et participent avec enthousiasme au folklore de la monarchie –

l’apparat, les défilés et les cérémonies, et l’adoration portée aux membres de la royauté. À ceci s’ajoutent les cérémonies parallèles de l’église tout aussi hautes en couleur qui sont aussi plus fréquentes et, par conséquent, probablement plus exigeantes sur le plan quotidien. L’église catholique n’est aucunement une force subversive et sa hiérarchie ne remet jamais en question, du moins en public, les pouvoirs en place – dont l’église et ses évêques font certes partie. L’église offre également une autre option à ceux qui sont insatisfaits à l’égard du statut minoritaire du français ou de la difficulté d’être catholique au sein d’un pays majoritairement protestant.

néanmoins, une tension constante règne entre les groupes anglophones et francophones. Les Canadiens anglais souscrivent à l’idée d’une seule nationalité canadienne représentant les identités britannique impériale et canadienne. Les groupes ethniques sont secondaires en ce qui concerne cette identité nationale – les différences ethniques existent tout au plus pour renforcer la nationalité dans son ensemble et non pas pour la contredire12. Comme le souligne l’historien arthur silver, cette approche rend les francophones assez semblables aux Gallois ou peut-être 270

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aux irlandais13. et pourtant, les évêques canadiens irlandais remarquent eux-mêmes la différence créée par la langue – et c’est pour cette raison, qu’avant la guerre, ils associent leurs intérêts à la majorité anglophone (les protestants) du pays plutôt qu’à leurs compatriotes catholiques.

À ce moment, les Canadiens français ne sont pas en proie aux mêmes sentiments ni aux mêmes tentations psychiques que leurs compatriotes. en général, la politique nationale tient compte de cette distinction. normalement, les politiciens gomment la distinction – la technique de Laurier. Même Henri Bourassa, tout en admettant les différences présentes et réelles, prédit le jour où les francophones et les anglophones fusionneront en une seule nationalité – une fois que les Canadiens anglais auront abandonné les folies de l’empire et leurs prétentions à la supériorité raciale. au contraire de Laurier, Bourassa ne cherche ni à échapper aux contradictions entre l’idéal canadien et la réalité canadienne ni à les éviter. Contrairement aux quelques nationalistes extrêmes de cette époque, il ne s’évade pas dans des rêves de séparatisme14.

Bourassa établit plutôt sa propre voie, profitant de toutes les occasions pour expliquer aux Canadiens anglais qu’ils ont tort d’exprimer leur engagement envers l’empire en participant avec enthousiasme à la guerre. La priorité devrait être accordée aux doléances des francophones de l’Ontario et non pas aux erreurs de la distante europe et à l’agitation de l’empire. Pour toute récompense, il est victime d’une tentative d’agression sur une scène de théâtre à Ottawa en décembre 1914. il est sauvé in extremis par le directeur, qui tire le rideau15. Le public francophone auquel il fait le même discours, avec encore plus d’éclat, répond beaucoup mieux à ses déclarations. « au nom de la religion, de la liberté, et de la fidélité au drapeau britannique », écrit Bourassa dans Le Devoir, « on adjure les Canadiens français d’aller combattre les Prussiens d’europe. Laisserons-nous les Prussiens de l’Ontario imposer en maîtres leur domination… à l’abri du drapeau et des institutions britanniques16 ? »

On estime que, parmi les 619 636 hommes qui servent dans le CeC, 35 000 sont des Canadiens français, dont 14 000 qui se portent volontaires avant juin 1917. Ces chiffres ne reflètent pas vraiment la réalité compte tenu du fait que 228 000 de ces 619 000 soldats sont nés au royaume-Uni, et que dans l’ensemble, un peu plus de la moitié seulement sont nés au Canada. Comparativement aux autres provinces, le Québec reçoit moins d’immigrants en provenance de la Grande-Bretagne et compte moins d’hommes mariés (le recrutement dans les provinces maritimes, où il y a également moins d’immigrants, est moins élevé qu’en Ontario et que dans l’Ouest, mais pas aussi bas qu’au Québec). il y a plus d’agriculteurs canadiens-français comparativement aux autres groupes ethniques et partout au pays, les agriculteurs tardent à s’enrôler (ou refusent de le faire). il est néanmoins 11 • Briser le moule, 1914–1930

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incontestable que, comparativement aux Canadiens anglais, le nombre de Canadiens français qui servent dans les forces armées est beaucoup moins élevé. À l’époque, ce fait provoque nombre de commentaires, en particulier dans les médias anglophones, ce qui peut contribuer à un recrutement moindre au Québec.

Le recrutement des Canadiens français n’est pas un échec total ; d’ailleurs, même quelques nationalistes s’enrôlent – l’éminent politicien Olivar asselin, par exemple. Le cousin de Bourassa, talbot Papineau, se joint également à l’armée et incite son parent à participer à un débat dans la presse, qui fait grand bruit, sur les avantages et les inconvénients de la participation à la guerre. et malgré la réticence de Hughes à encourager des unités entièrement canadiennes-françaises, plusieurs bataillons francophones sont formés, dont le plus populaire, le 22e bataillon (aujourd’hui le royal 22e), existe encore.

en 1916, alors que rien ne laisse présager la fin des combats, la politique canadienne a atteint une impasse. Le recrutement ne se fait plus qu’au goutte à goutte et les appels de plus en plus fervents au sacrifice, à la justice et à la cause commune trouvent peu d’écho. avec l’appui de Laurier, le gouvernement Borden obtient une prolongation d’un an du mandat du Parlement, qui devait prendre fin à l’automne 1916. À ce point, la popularité de Borden est en baisse et il est peu probable que Laurier acceptera une autre prolongation. au début de 1917, en dépit de la guerre, la politique reprend de la vigueur.

pOLiTiqUE, ARGEnT ET mUniTiOnS

Le leadership incertain du premier ministre, sir robert Borden, semble exacerber les problèmes du Canada. Borden, un néo-écossais qui a déjà été un avocat canadien de premier plan, est chef du Parti conservateur depuis 1900. avant sa victoire en 1911, il a survécu à deux défaites électorales aux mains de Laurier ; en 1915, tout semble indiquer que les prochaines élections se solderont par une autre défaite.

L’approche de Borden en ce qui concerne la vie et la politique est lente et méthodique. ses prises de position et son programme électoral semblent indiquer qu’il est un réformateur et, au cours des trois premières années de son mandat, ses réalisations sont peu nombreuses. en 1914, il fait ce que les circonstances exigent, mais se sert des politiciens – les ministres – de son cabinet au lieu de prendre des initiatives audacieuses.

Ces derniers représentent un atout incertain qui semble s’amenuiser. Le Parti conservateur est sur son déclin en 1915 et 1916. alors qu’on assiste 272

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à la chute des gouvernements conservateurs au Manitoba et en Colombie-Britannique, il semble possible d’en faire davantage. Mais quoi ?

Borden est un peu moins léthargique en ce qui a trait aux problèmes politiques causés par son ministre de la défense, sir sam Hughes. il ne faut pas beaucoup de temps pour que ce dernier suscite le mécontentement au sein de ses troupes. des histoires circulent au sujet du ministre – les contrats d’approvisionnement qu’obtiennent ses amis (vrai), le favoritisme à l’égard de son fils, qui devient général comme son père (indiscutable) et son comportement capricieux et excentrique. On dit qu’il a remis un brevet d’officier à un serveur qui lui avait offert un service rapide. La véracité de l’histoire n’a pas vraiment d’importance ; l’histoire est plausible et on y croit.

Le cas le plus notoire est celui des fusils ross, un fusil de précision fabriqué à Québec. Bien qu’il soit difficile à charger, qu’il se bloque fréquemment et qu’il ne fonctionne pas dans la boue, Hughes le préfère au fusil britannique, le Lee-enfield. Les troupes réagissent en se procurant des Lee-enfield partout où ils peuvent, tout en maudissant le ministre d’avoir choisi le ross.

dès lors, Hughes affaiblit le gouvernement, même au sein de ses partisans. On lui attribue la responsabilité d’un scandale qui éclate à propos d’entrepreneurs liés à la fabrication d’obus d’artillerie, considérés comme défectueux et insuffisants.

Borden réagit en dépouillant graduellement Hughes de son autorité en nommant en 1916 un nouveau ministre pour l’armée outre-mer. au grand soulagement de Borden, Hughes donne sa démission. son erreur a été de supposer que la conduite d’une armée en temps de guerre ne nécessitait rien de plus que les méthodes éprouvées de la vieille politique – favoritisme et népotisme assaisonnés de patriotisme. Borden sait que ce n’est plus suffisant et que son gouvernement ne pourra survivre à moins de faire preuve d’une plus grande capacité de professionnalisme et d’objectivité.

Borden est mal à l’aise avec de nombreuses tâches simples de la politique. il ne s’entend pas avec ses ministres, qui sont plus politiques ; selon eux, il ne comprend pas que, pour subsister, son Parti conservateur a besoin de plus qu’une petite dose de « bon gouvernement ». À court terme, ils se trompent, mais à long terme, il est difficile de ne pas en venir à la conclusion que Borden détruit la structure existante du parti sans pour autant offrir une autre option. au moment où on s’en aperçoit, la guerre est terminée et Borden est parti.

L’épisode de Hughes ne nuit pas vraiment au premier ministre mais il n’indique nullement qu’il est un chef confiant et décisif. il faut des circonstances extérieures pour le pousser à réorganiser son gouvernement 11 • Briser le moule, 1914–1930

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et ses objectifs. alors que les pertes s’accumulent au sein des troupes canadiennes envoyées outre-mer et qu’il devient impossible de les maintenir en puissance sous le régime politique existant, Borden conclut que leurs sacrifices nécessitent une réponse différente. La guerre détruit le moule politique canadien : il revient à Borden de faire ce qu’il peut pour le transformer.

STRATéGiE ET pERTES

Les soldats volontaires canadiens, le CeC, sont intégrés à l’armée volontaire britannique, le CeB. La Grande-Bretagne est le seul combattant qui n’a pas recours à des forces de conscrits en 1914 ; par conséquent, l’armée britannique est moins importante que les armées allemande, russe ou française. Ces dernières se préparent pour la guerre depuis des années en élaborant des manœuvres de mobilisation complexes en fonction des chemins de fer et des horaires. Le déplacement d’une armée et son maintien en puissance est une initiative importante ; une fois commencée, il est difficile de l’arrêter.

Les combattants de 1914 ne veulent pas arrêter. ils créent une guerre sur deux fronts, le long des frontières est et Ouest de l’allemagne.

Les allemands tentent d’attaquer en premier à l’ouest afin d’éliminer la redoutable armée française avant de s’en prendre aux russes mais ils ne réussissent pas à vaincre les Français ni à s’emparer de Paris. Bien que les pertes soient importantes, les Français tiennent les allemands à distance de leur capitale pour ensuite effectuer une série de manœuvres de débordement, déployant les combats jusqu’à la côte belge de la mer du nord, aux abords de la ville médiévale d’Ypres. en se déplaçant vers le nord, les armées creusent des tranchées le long de la route. en décembre 1914, une ligne de tranchées – « le front Ouest » – s’étend de la frontière suisse, la suisse étant neutre, jusqu’à Ypres.

Les armées britannique et française se rencontrent à Ypres et on y envoie les premiers soldats canadiens, au printemps 1915. Les allemands choisissent d’essayer leur nouvelle arme sur Ypres. Leurs chimistes ont concocté un gaz toxique que le haut commandement allemand lance sur les soldats alliés. Le gaz est efficace jusqu’à un certain point. Certaines unités alliées s’enfuient mais les Canadiens défendent leur position et les allemands échouent dans leur percée. Le gaz toxique laisse entrevoir que cette guerre est plus effroyable que les conflits précédents, mais ce n’est qu’un des dispositifs mécaniques qui font en sorte que la « Grande Guerre »

sera différente des autres. Les deux camps se servent de gaz toxique mais les alliés sont avantagés par les vents dominants de l’ouest. Bientôt, les 274

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masques à gaz sont mis au point en conséquence et le gaz ne s’avère pas l’arme décisive à laquelle ses inventeurs s’attendaient.

il en est de même en ce qui concerne une réalisation ultérieure, le char d’assaut. Consistant essentiellement en une plateforme d’artillerie moderne, les chars d’assaut sont d’abord utilisés sur le front Ouest en 1916. Conçus par les Britanniques, ils sont copiés par les autres principaux combattants. solidement blindés mais sousmotorisés, les chars ont tendance à tomber en panne au bout de quelques heures d’utilisation. C’est pourquoi les chars de la Grande Guerre sont des armes marginales, parfois utiles mais jamais décisives.

au front, la Grande Guerre est une guerre d’artillerie et de mitrailleuses, et à l’arrière, de ravitaillement – en nourriture et munitions.

L’artillerie est censée préparer la voie pour que l’infanterie puisse attaquer en détruisant les tranchées ennemies. L’infanterie pourra alors « réussir une percée » et la cavalerie pourra utiliser le passage. Pendant près de quatre ans, la cavalerie attend, heureusement pour elle, parce que l’infanterie n’a pas réussi de percée ni d’un bord ni de l’autre en raison de la force de défense des deux camps qui consiste en tranchées, munies de mitraillettes et de centres de résistance de béton dans lesquels les troupes peuvent s’abriter pendant les bombardements. il est même possible que les obus, utilisés en quantité par les armées assaillantes17, aient avantagé la défense plutôt que l’offensive, compte tenu du fait qu’ils signalent de façon relativement mécanique et prévisible qu’une attaque est en cours, et vers qui elle est dirigée.

L’objectif, ou la stratégie, des diverses armées ne consiste pas vraiment à s’approprier du territoire – bien que ce soit utile – mais à anéantir l’ennemi. il doit être vaincu sur le terrain, tué ou capturé. en soi, c’est une stratégie logique. Le problème réside dans le déséquilibre entre la stratégie et les tactiques, en particulier du côté des alliés, parce que les réseaux de tranchées des allemands sont plus denses, plus fortifiés et mieux conçus.

derrière les lignes et le long du front, des trains apportent des renforts et du ravitaillement depuis l’arrière aux immenses armées qui s’affrontent.

Les armées ne passent pas tout leur temps à attaquer les tranchées ennemies. dans l’ensemble, la guerre consiste en des périodes d’ennui, ponctuées de terreur extrême – la terreur de devoir « grimper au sommet »

de ses propres tranchées en direction de l’ennemi, ou la terreur d’un tireur ennemi ou du bombardement de son artillerie, qui est responsable de la majorité des pertes18.

Un autre phénomène rend la Grande Guerre remarquable. il s’agit de la première guerre des temps modernes, peut-être même de l’histoire, pendant laquelle plus de soldats meurent au combat qu’à la suite d’une 11 • Briser le moule, 1914–1930

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Une histoire du Canada
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