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Pourtant, les choses ne changent guère. Le gouvernement diefenbaker n’a pas de politiques distinctes de celles des libéraux sur le plan philosophique et n’en propose pas non plus. il se penche sur des problèmes qui traînaient depuis longtemps, comme ceux des petites exploitations agricoles peu rentables, en encourageant les agriculteurs à quitter leur terre s’ils n’arrivent plus à en vivre. il augmente les rentes. il apporte des ajustements à la politique énergétique, s’assurant d’un marché pour le pétrole albertain en Ontario à un prix légèrement plus élevé que les prix mondiaux. il parachève la voie maritime du saint-Laurent, un projet de Howe, et fait la promotion de l’énergie nucléaire, autre projet de Howe.
il s’efforce de vendre encore un autre projet de Howe, celui du chasseur à réaction supersonique arrow d’avro, un avion fabriqué au Canada, sans toutefois y parvenir. Par conséquent, diefenbaker met un terme au projet arrow, avec la bénédiction de Howe. C’est un enseignement à tirer : les idées libérales ne sont pas toujours bonnes. Comme un des ministres de diefenbaker en fera la réflexion avec regret des années plus tard, les conservateurs ont vu la fonction publique d’Ottawa faire bien paraître les libéraux pendant toutes ces années ; leur tour était venu à présent34. ils constatent avec surprise que diefenbaker se révèle moins une solution de rechange aux libéraux qu’un épilogue.
Plusieurs éléments se conjuguent pour dissimuler cette réalité.
davantage que saint-Laurent, diefenbaker se rend extrêmement visible comme chef du gouvernement, recherchant la publicité et le crédit pour « ses »
politiques. La publicité – favorable, s’entend – devient donc le baromètre de la réussite et, à mesure que le temps passe, on sacrifie de plus en plus les autres considérations sur son autel. diefenbaker dépend de la presse et c’est de plus en plus réciproque. À l’encontre de saint-Laurent, les marottes de « dief » deviennent l’objet de la légende moderne. après avoir pris la bonne décision au sujet de l’arrow d’avro, diefenbaker récolte tellement d’insultes et de mauvaise publicité, sans parler des dommages politiques, qu’il hésite à prendre une autre décision impopulaire. Les réunions du Cabinet dégénèrent en un festival d’atermoiements alors que les ministres débattent sans fin des conséquences politiques de leurs actes. diefenbaker se révèle un mauvais gestionnaire de son Cabinet et il ne faut pas attendre longtemps avant que les vieilles animosités refassent surface. Un analyste perspicace du Parti conservateur laisse entendre que les conservateurs ont connu la défaite pendant si longtemps qu’ils ont fini par acquérir des habitudes et des attitudes qu’on peut qualifier de pathologiques en contexte politique35. ils se perpétuent par eux-mêmes plutôt que par l’opposition.
Cela serait sans importance si l’opposition, comme c’est si souvent le cas, était mal dirigée et formée de gens incompétents. Pearson lui-même n’est pas gestionnaire dans l’âme et son jugement personnel n’est 362
UnE HIsTOIRE dU Canada
pas toujours des meilleurs mais il a la chance d’avoir des collègues qui respectent son leadership et souscrivent au vieil adage « si nous ne nous serrons pas les coudes, nous sommes perdus ». Les libéraux renouvellent leur plateforme politique, se mettent au courant des idées libérales à la mode et profitent de la résurgence du libéralisme aux états-Unis, qui se manifeste dans la victoire d’un jeune et très charmant démocrate, John F.
Kennedy, aux élections présidentielles de 1960. Les travaux de l’économiste canadien expatrié, John Kenneth Galbraith, commencent à faire partie des lectures obligatoires au sein des cercles en vue. Fait encourageant pour les libéraux, les sondages d’opinion sont plutôt favorables à leurs idées en 1960
et le demeureront par la suite.
si Pearson, qui a soixante-trois ans en 1960, commence à incarner les nouvelles idées et le renouveau, diefenbaker est incapable de franchir le pas nécessaire aux yeux des électeurs. son Canada est dépassé, pas nécessairement moins libéral mais un Canada qui n’est pas parvenu à s’adapter aux nouvelles réalités. diefenbaker fait peine à voir : démodé, bucolique même, un péquenaud qui n’a pas sa place dans un monde moderne et tout neuf. il ne mérite pas cette accusation : c’est loin d’être un péquenaud mais il est vrai que ses habitudes et son aspect conviennent mal à une ère qui est, sur le plan démographique comme sur celui du style et de la culture, de plus en plus marquée par la jeunesse.
cULTURE ET SOciéTé à LA Fin DES AnnéES cinqUAnTE
La fin des années 1950 est l’époque des adolescents. Bien sûr, il y avait des adolescents avant cela, mais ce n’est que dans les années 1950
que s’instaure une combinaison idéale entre leur nombre, les loisirs et la prospérité, combinaison qui va les amener à l’avant-plan de la culture populaire. La première vague de baby-boomers se gonfle. À la télévision, à radio-Canada et aux trois plus grandes chaînes américaines, aBC, nBC
et CBs, dont les stations se trouvent juste de l’autre côté de la frontière, les émissions pour enfants envahissent les nouveaux programmes. Le signe extérieur de ce changement est le phénomène du rock ‘n’ roll, incarné par elvis Presley, sa guitare, sa chevelure gominée et ses déhanchements sur scène. Le rock ‘n’ roll est strictement destiné aux adolescents, et les parents et autres figures d’autorité se mettent en quatre pour le condamner36.
La nouvelle musique franchit les frontières sans difficultés et, vu l’existence de la télévision et de la radio et la facilité de se procurer des disques 45 tours et des tourne-disques bon marché, on doit parler bien plus d’un envahissement que d’une pénétration du rock ‘n’ roll au Canada.
Certains le condamnent en raison de son immoralité, d’autres parce qu’il 13 • des Temps Bénis, 1945–1963