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canadiens, Mary Pickford et Glenn Ford, par exemple. reagan sait qu’en gros, les Canadiens ressemblent aux américains, que les relations au-delà de la frontière ont toujours été pacifiques et généralement amicales, et que le commerce avec le Canada est important. étant Californien, reagan a toujours été conscient de la présence d’un voisin beaucoup plus proche, le Mexique, et rassemble le Canada, le Mexique et les états-Unis dans un projet qu’il appelle « l’accord nord-américain ». Personne, surtout au sein de son personnel, ne sait ce que cela signifie.
reagan s’intéresse surtout à la stratégie, à la place des états-Unis dans un monde divisé entre communistes et anticommunistes pendant la guerre froide avec l’Union soviétique. Le Canada se trouve du côté américain de cet abîme quoique, lorsque Pierre trudeau était premier ministre du Canada, les conseillers de reagan entretenaient parfois des doutes. trudeau donnait l’impression qu’il considérait les états-Unis et l’Union soviétique comme « équivalents » et que seul un hasard géographique avait placé le Canada du côté américain.
La position de Mulroney ne fait aucun doute. élevé dans une ville enrichie par les investissements américains, ayant travaillé dans le secteur du minerai de fer (quoique au siège social, loin des mines), Mulroney saisit très bien l’importance des relations canado-américaines et les avantages de la connexion avec les états-Unis. il souhaite entretenir d’excellentes relations avec les états-Unis, a-t-il déclaré pendant la campagne électorale de 1984.
et il lui faut quelque chose, une idée, une politique ou une initiative, pour renforcer son gouvernement affaissé. voilà que, subitement, en 1985, ses fonctionnaires lui recommandent ce genre de politique : le libre-échange.
Certes, il a repoussé explicitement ce genre d’idée pendant la campagne électorale mais il se convainc lui-même sans difficulté qu’en réalité, il voulait dire autre chose7.
Une rencontre au sommet a lieu avec le président reagan à proximité de Québec en mars 1985. On s’en souviendra plus tard en raison d’un quartet composé du premier ministre, du président et de leur épouse respective chantant « When Irish Eyes Are Smiling », une pièce d’un sentimentalisme parfait que les intellectuels canadiens considéreront des années plus tard comme une marque de mauvais goût. (il semble, par ailleurs que les intellectuels américains n’aient rien remarqué du tout.) Cela ne cause aucun tort à Mulroney et les partis de l’opposition ne s’en serviront même pas pendant la campagne électorale suivante, ce qui donne à penser que ce fait n’était pas impopulaire au sein de la population canadienne. Mulroney mentionne à reagan qu’il serait peut-être bon d’envisager le libre-échange, ce à quoi reagan acquiesce. après un été passé à étudier des dossiers et faire des préparatifs, Mulroney et son cabinet finissent par s’entendre pour prendre le risque d’une négociation. en septembre 1985, les deux 438
UnE HIsTOIRE dU Canada
pays conviennent officiellement de négocier le libre-échange et le Congrès, par une très faible majorité, consent à ce qu’on amorce le processus. La loi américaine pose deux conditions à la future entente : tout d’abord, les négociations doivent être menées à bien en moins de deux ans et, ensuite, une fois parachevée, l’entente sera strictement soumise à un vote direct sur sa substance au Congrès, sans que ce dernier ait la possibilité d’ajouter des amendements de dernière minute.
Mulroney a deux objectifs : le premier est le libre-échange, soit l’abolition des barrières tarifaires à la frontière sur les produits fabriqués dans les deux pays nord-américains. Fait tout aussi important ou plus important encore, Mulroney souhaite que l’entente porte sur les barrières non tarifaires qui, dans les années 1980, représentent un obstacle de taille aux échanges commerciaux transfrontaliers sans entraves. À mesure que les tarifs baissent et que la protection qu’ils offrent perd de son importance pour les groupes d’intérêts nationaux, les producteurs des états-Unis et d’ailleurs en sont à compter sur les lois anti-dumping ou, pour parler comme les américains, des « droits compensateurs ». il s’agit en fait d’une idée canadienne, que l’on doit au ministre des Finances de Laurier, William Fielding. afin d’empêcher le dumping ou les importations subventionnées, le Parlement canadien avait alors instauré des droits anti-dumping particuliers. d’autres pays, dont les états-Unis, avaient admiré l’ingéniosité de Fielding et instauré leurs propres droits anti-dumping, qui s’appliquaient à toutes les importations à prix inéquitable (qui font l’objet de dumping) ou bénéficiaient de subventions injustes dans leur pays d’origine.
Personne ne s’entend vraiment sur ce qui constitue véritablement du dumping ni sur le sens réel à donner au terme « subvention ». Cela est laissé à la discrétion des législateurs nationaux, qui ont tout loisir de modifier les lois à l’occasion en réaction à des pressions internes. tout cela va dans le sens de la création de règles de jeu équitables et de l’instauration d’échanges commerciaux à la fois libres et équitables. Les états-Unis peuvent donc prendre l’initiative en exerçant des pressions sur les autres pays pour qu’ils abaissent leurs barrières tarifaires et fassent bénéficier les investisseurs étrangers du traitement « national » tout en maintenant des barrières commerciales au cas où l’harmonie commerciale, ou un régime d’échanges internationaux libéral, irait trop loin.
idéalement, les états-Unis et le Canada vont abolir leurs mesures anti-dumping et de droits compensateurs respectifs mais, si on ne peut en espérer autant, ils vont les régulariser en appliquant une méthode d’interprétation standard à ce qui représente après tout des règlements extrêmement spécialisés et complexes. Mulroney jette donc son dévolu sur un « mécanisme de règlement des différends » qui sera contraignant à l’avenir pour les deux pays.
16 • marasme eT explosion dans les années 1980