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UnE HIsTOIRE dU Canada

À la fin des années 1780, des bandes de colonisation s’étendent le long de la côte est de la baie de Fundy, le long de la rivière saint-Jean et le long du fleuve saint-Laurent à l’ouest de Montréal jusqu’à King’s town, autrefois fort Frontenac, à l’extrémité orientale du lac Ontario (le nom King’s town se contractera rapidement en Kingston). Plus à l’ouest, il y a des poches de colonisation le long de la rive nord des lacs Ontario et érié, de la baie de Quinte (où un groupe d’iroquois s’est vu concéder des terres), de la rivière Grand (une autre étendue de terres iroquoises) et de la rivière thames7.

Grâce à la présence des colons, le contrôle direct exercé par les Britanniques s’étend jusqu’à la rivière detroit. C’est cependant plus à l’ouest, au-delà des Grands Lacs, que survient l’expansion la plus notable de l’influence britannique. dans cette région, des marchands de fourrures établis à Montréal font concurrence aux commerçants venant des postes de la Compagnie de la baie d’Hudson installés sur les rives de la baie du même nom. Les commerçants montréalais ont un avantage commercial : ils apportent directement leurs marchandises à leurs clients tandis que les marchands de la baie les attendent ; quand la Compagnie de la baie pénétrera à l’intérieur des terres, il lui faudra des années pour dépasser les Montréalais.

Les contacts entre autochtones et Blancs ne se traduisent pas toujours par une convergence heureuse des forces du marché. il arrive que les marchands aient recours à la force vis-à-vis de clients infidèles ou s’en remettent à la dépendance, envers l’alcool ou le tabac, pour attirer des clients.

et les dettes sont inévitables, qui lient les malheureux consommateurs autochtones à un système commercial avide.

en 1789, un commerçant en fourrures montréalais, alexander Mackenzie, suit les cours des lacs et des rivières sur plus de deux mille kilomètres depuis fort Chipewyan (construit l’année précédente) sur le lac athabasca jusqu’à l’océan arctique ; le grand fleuve qu’il descend est baptisé Mackenzie en son honneur. Mackenzie est déçu : il espérait atteindre le Pacifique et non l’arctique. en 1793, il répète son exploit, franchit les rocheuses pour finir par atteindre le Pacifique à l’embouchure de la rivière Bella Coola, devenant le premier homme blanc à traverser le continent.

Mackenzie représente une nouvelle coalition d’intérêts montréalais, la Compagnie du nord-Ouest, dominée par simon Mctavish et les frères Frobisher, mais qui comprend toute une série de marchands d’ascendance britannique et américains. ils ont recours à une technologie traditionnelle, le canot d’écorce, hérité des Français et, avant eux, des amérindiens, mais agrandi en un « canot du maître », avec des équipages de six à douze hommes et transportant jusqu’à 1 360 kilogrammes de cargaison. ils partent de 6 • les guerres pour la conquêTe de l’amérique (3) 115

Montréal, remontent la rivière des Outaouais et traversent les Grands Lacs jusqu’au Grand Portage qui relie le bassin du saint-Laurent aux rivières de l’Ouest, approvisionnant une série de postes échelonnés entre le lac supérieur et les montagnes rocheuses. Cela exige énormément d’efforts, mais les profits sont très gratifiants. Les associés montréalais achètent des seigneuries, épousent des héritières de l’aristocratie, se rencontrent dans leur « Beaver Club » et construisent des manoirs – le « Beaver Hall » pour un des frères Frobisher – qui témoignent de leur richesse.

Les découvertes de Mackenzie ajoutent à leur satisfaction car c’est de la région de l’athabasca – à partir de 55 degrés de latitude nord et entre 110 et 120 degrés de longitude Ouest – que proviennent les fourrures les meilleures, les plus épaisses et les plus luxuriantes8. Les fourrures sont transportées par « canots du maître » jusqu’à Montréal et échangées contre du tissu, des armes à feu et de l’alcool apportés par les commerçants. dans les années 1780, ces derniers sont presque exclusivement anglophones car ce sont eux qui ont les relations, le capital et l’accès au marché des fourrures de Londres, dans le système mercantile, le seul véritable marché en réalité9.

L’émergence d’une élite mercantile à Montréal, étroitement liée aux secteurs commercial et financier de Londres, vient ajouter du poids à l’argument, laissé de côté au moment de l’acte de Québec en 1774, que le Québec est trop grand et trop important pour être privé d’institutions politiques représentatives. On crée un Comité de Londres représentant les intérêts de Montréal pour presser le gouvernement britannique de réformer le gouvernement du Québec. L’afflux de Loyalistes dans la lointaine moitié occidentale de la province renforce l’argument qu’il faut prendre de nouvelles mesures pour refléter l’évolution de la situation. Le gouvernement britannique doit prendre son courage à deux mains et faire du Québec une colonie comme les autres.

LA cOnSTiTUTiOn DE L’AméRiqUE DU nORD BRiTAnniqUE

Les anciennes colonies d’amérique du nord, perdues en 1783, étaient des entités distinctes, chacune avec son propre gouverneur et une diversité de régimes gouvernementaux. Les premiers gouverneurs du Québec et de la nouvelle-écosse jouissaient, ni plus ni moins, du même statut que les gouverneurs du new Hampshire et de la Georgie. La situation change après 1783 : le Cap-Breton, l’île saint-Jean et le nouveau-Brunswick obtiennent tous des lieutenants-gouverneurs, première étape vers le regroupement de l’amérique du nord britannique sous un gouvernement unique10. Mais ce 116

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n’est là qu’une première étape : à Québec le gouverneur se voit octroyer les titres mais non les pouvoirs d’un « gouverneur » dans chacune des colonies de l’amérique du nord britannique, formule inefficace qui ne sert qu’à conférer une pré-éminence officielle11. dans chacune des colonies, à l’exception du Bas-Canada, c’est le lieutenant-gouverneur qui règle les affaires courantes, maintient la communication avec Londres et administre les colons du mieux qu’il peut12.

sir Guy Carleton reçoit le titre en 1786 ; c’est en deçà de ses espérances mais il se gagne l’appui de quelqu’un d’autre, le baron dorchester, pour accélérer son passage vers Québec. Cette nomination est un gage de faveur et un signe que le gouvernement, une administration loyaliste dirigée par William Pitt dit le second, va tenir compte de l’avis de dorchester sur la manière de gouverner et de conserver les colonies qui restent. Le gouvernement est aussi convaincu que dorchester, en tant que principal auteur de l’acte de Québec de 1774, ne sera pas pressé de le remplacer par un autre régime13. ses espoirs sont fondés : dorchester hésite, cherche à gagner du temps et ne donne aucun avis concluant sur la marche à suivre. Cela ne fait bien entendu que susciter des demandes de changements, qui sont portées aux oreilles des membres de l’opposition au Parlement de Londres.

Une Loi sur le Canada est déposée, débattue et adoptée par le Parlement au printemps de 1791. C’est bien sûr Pitt qui en est responsable et le premier ministre prend une part active dans les débats, mais son principal parrain est William Grenville (qui deviendra lord Grenville), secrétaire d’état du cabinet. Fait intéressant, les débats de 1791 durent plus longtemps, et revêtent plus d’importance dans la politique britannique, que n’importe quel autre examen parlementaire du Canada par la suite, un signe que, selon les maîtres de la politique en Grande-Bretagne, il y a davantage en jeu que le gouvernement ou même la possession du Canada.

tout d’abord, à la suite de la proposition de Loi sur le Canada, ce dernier bénéficiera des avantages de la constitution britannique et servira de balise pour les principes politiques britanniques. Ce sont les états-Unis qui constituent le public visé mais, au printemps de 1791, avec la révolution en France et le parfum de violence qui flotte au-dessus de la Manche, les principes britanniques contenus dans la Loi sur le Canada s’appliquent plus près de la mère patrie.

La réplique approximative du modèle britannique, Chambre des lords, Chambre des communes et souverain, est plus précise dans la Loi, ce dont on se rendra compte plus tard. Les Parlementaires consacrent beaucoup de temps à discuter de ce qui constitue en réalité une Chambre des lords canadienne, un conseil législatif nommé. il y a même une disposition prévoyant des conseillers héréditaires mais, en tout état de 6 • les guerres pour la conquêTe de l’amérique (3) 117

cause, les membres du conseil sont nommés à vie. il y aura une assemblée élue avec élections tous les quatre ans (Pitt a proposé des mandats de sept ans comme au Parlement britannique). il y aura un conseil exécutif, semblable au cabinet britannique, chargé de conseiller les gouverneurs ou lieutenants-gouverneurs du Canada. Là s’arrête la similarité. Les membres du conseil exécutif canadien restent en fonctions selon le bon vouloir du gouverneur et non selon un droit héréditaire, à vie ou par voie d’élections.

Par conséquent, ils sont entièrement dépendants du gouverneur, à qui ils prodiguent leurs conseils, ce en quoi ils ressemblent beaucoup aux membres du cabinet américain, qui vient tout juste d’être constitué sous le premier président, George Washington. dans les années 1790, personne ne peut prédire quel sera vraiment le mode de fonctionnement du régime gouvernemental américain mais, déjà, le principe de l’équilibre des pouvoirs entre les états de la constitution américaine est explicitement exposé. dans les colonies canadiennes, Pitt et Grenville n’ont proposé qu’un des plateaux de la balance, car au-delà des motivations abstraites de patriotisme ou de la notion d’intérêt public, il y a peu de mesures incitant à une collaboration entre l’assemblée, qui produit les recettes, et le gouverneur et le conseil exécutif, qui se chargent de les dépenser.

L’acte de Québec de 1774 reconnaissait le fait qu’il vaut mieux l’église catholique romaine que pas d’église du tout et donnait donc force de loi au soutien à cette église par l’entremise de la dîme, versée par des fidèles parfois récalcitrants. L’acte constitutionnel de 1791 peut difficilement répudier ce qui a été concédé il n’y a pas si longtemps, mais il expose en long et en large la volonté véritable du gouvernement britannique, soit l’établissement d’une église protestante, l’église anglicane, dans les colonies.

La Loi sur le Canada dote les anglicans de la seule valeur véritablement négociable dans les colonies : la terre, le septième de la valeur des terres dans tous les cantons. On peut conserver ou vendre ses terres, mais les revenus doivent être versés aux membres du clergé local de l’église anglicane, indépendamment de toute orientation que pourrait vouloir prendre une assemblée locale. dans la mesure où le gouvernement britannique parvient à gérer la situation, l’église ainsi établie se voit conférer une indépendance par rapport à la politique et aux politiciens locaux.

au Québec, cela signifie aussi que l’église anglicane est indépendante de la majorité catholique, qui représente 90 pour cent de la population en 1790. il y aura deux provinces au lieu d’une, qui s’appelleront toutes deux Canada (il s’agit déjà du nom couramment donné à la plus grande partie de l’amérique du nord britannique ; la Loi sur le Canada le rend officiel).

La province de l’ouest sera le Haut-Canada ; elle est sous-peuplée et sous-développée mais à grande majorité anglophone et, pour le moment, à grande majorité loyaliste. La province de l’est, en descendant le saint-Laurent, 118

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sera le Bas-Canada, très majoritairement francophone, avec une économie nettement plus développée. sur le plan économique, cependant, la langue du Bas-Canada est l’anglais et non le français et il n’est guère surprenant de constater que les barons de la fourrure de Montréal s’opposent à la division du Québec, qui fait d’eux un petit îlot linguistique dans une mer de francophones.

À certains égards, la Loi sur le Canada constitue la dernière manifestation de l’ancien empire britannique, dominé par des colonies qui copient, dans la mesure du possible, les caractéristiques et les institutions de la mère patrie. Ces colonies sont – et on s’attend à ce qu’elles demeurent – dépendantes, coincées dans un système commercial restrictif, le mercantilisme, au sein duquel la Grande-Bretagne impose le modèle de gouvernement, de société et de commerce coloniaux au profit de la mère patrie. On tolère des écarts locaux dans ce système, mais non les entorses radicales. sa force et son inspiration résident dans son respect du modèle britannique d’origine. C’est pour cela que les Loyalistes ont combattu.

LA GUERRE ET LA SAnTé DES cOLOniES

Les débats de 1791 marquent la dernière occasion pendant plus de trois décennies où la Grande-Bretagne s’intéressera au Canada. de nouvelles crises retiennent l’attention du gouvernement britannique, notamment les tensions avec l’espagne à propos du nord-ouest du Pacifique, où des revendications impériales se chevauchent au nootka sound, dans l’Île de vancouver. (Une fois résolue, cette crise place ce qui est aujourd’hui la côte de la Colombie-Britannique sous la suzeraineté britannique et limite l’expansion espagnole à la Californie.)

Les problèmes avec l’espagne n’ont rien d’important comparés au danger que semble constituer la France pour le gouvernement britannique.

La monarchie française s’effondre en 1792 pour laisser la place à un gouvernement républicain révolutionnaire. Les puissances de l’europe occidentale tentent de remettre le roi de France sur son trône, mais cela ne fait qu’inciter les révolutionnaires à conduire l’ex-monarque à la guillotine en janvier 1793. La Grande-Bretagne déclare alors à la France une guerre qui s’étendra sur toute une génération, jusqu’en 1815.

La guerre, ou plutôt, les guerres 1793–1815 représentent davantage que les habituelles querelles dynastiques. La France a connu une révolution sociale et politique qui semble avoir menacé les fondements du gouvernement, de l’ordre et de la société. La légitimité de l’autorité monarchique semble être en jeu en Grande-Bretagne, où la révolution survenue au dix-septième 6 • les guerres pour la conquêTe de l’amérique (3) 119

siècle a donné lieu à un compromis entre le monarque, les grands manitous de la noblesse non élus de la Chambre des lords et les membres élus de la Chambre des communes – le régime équilibré du dix-huitième siècle avec, pour médiateurs, des hommes politiques comme Pitt qui veillent à leur gouvernement en s’assurant des majorités parlementaires tout en gardant à l’œil les indices de faveur ou de défaveur royale. L’attention, voire la dévotion, envers la position du monarque, George iii, représente un aspect crucial du régime et de la classe politiques britanniques.

Les dirigeants britanniques s’inquiètent devant la révolution française. Les sentiments révolutionnaires sont perçus comme contagieux et le gouvernement de Pitt surveille de près les présumés révolutionnaires et se tient prêt à intervenir. dans les efforts débridés pour consolider, à n’importe quel prix, le pouvoir en Grande-Bretagne et dans les colonies, on en oublie les gestes libéraux de 1791, la Loi sur le Canada. L’année 1792, durant laquelle ont lieu les premières sessions des assemblées législatives du Haut-Canada et du Bas-Canada, est aussi l’année des violences révolutionnaires, de la prise du palais du roi à Paris et du début d’un sanglant règne de la terreur en France. alors que les colons organisent des banquets pour célébrer leurs nouvelles assemblées législatives et porter un toast – « Que la liberté s’étende jusqu’à la baie d’Hudson », entre autres – à l’esprit de liberté britannique, les ministres britanniques commencent à voir dans la

« liberté » une importation française dangereuse14.

Les événements qui se déroulent en europe paraissent distants mais non étrangers aux yeux des colons de l’amérique du nord britannique.

Même s’il peut se passer des semaines, plus généralement des mois, avant que les colonies aient vent des événements qui se déroulent en europe, le plus souvent via new York, ils n’en sont pas moins énervants ni touchants.

Certains membres du gouvernement colonial estiment que ce qui s’est passé en France pourrait se reproduire au Québec francophone. Les esprits les plus imaginatifs ressentent de la peur face aux états-Unis républicains au sud et pensent que la contagion démocratique pourrait s’étendre de la république vers le nord jusqu’aux colonies britanniques. si c’est le cas, le danger ne viendra pas tant du Bas-Canada que du Haut-Canada, province anglophone, britannique, mais aussi des Loyalistes américains.

La guerre ne se déroule pas de manière favorable. La France révolutionnaire repousse ses ennemis, puis conquiert la majorité des parties adjacentes de l’europe, la rhénanie, la Belgique, les Pays-Bas et la plus grande partie de l’italie. La Marine royale patrouille les côtes de France et de la Méditerranée pour protéger les îles Britanniques et le commerce outre-mer, mais elle ne peut empêcher les victoires françaises sur le continent.

Pendant ce temps, la France devient une dictature, puis un empire, sous la direction remarquable de napoléon Bonaparte. Comme il n’est que trop 120

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évident qu’il ne pourra vaincre les Britanniques sur les mers, Bonaparte se sert de l’arme économique en défendant tout échange commercial avec les Britanniques. Coupée de bon nombre de ses sources européennes (plus proches et meilleur marché) de fournitures, de nourriture et, plus particulièrement, de bois pour construire les navires de sa marine, la Grande-Bretagne se tourne vers ses colonies. Les colonies nord-américaines produisent ce dont les Britanniques ont le plus besoin : des céréales et du bois. Les Britanniques revoient leurs tarifs et leurs subventions de façon à décourager les importations européennes peu fiables et à encourager la production coloniale, avec bonheur. ils troquent leurs subventions contre la sécurité et assurent ainsi leurs approvisionnements ; pour les colonies, voilà un nouveau marché à la fois lucratif et prévisible. Le système mercantile qui relie le commerce des colonies à la Grande-Bretagne connaît désormais un été des indiens et les colonies bénéficient d’une prospérité sans précédent.

Les colonies exportent aussi vers l’empire. elles expédient de la nourriture, du blé et du poisson vers les antilles, un marché auparavant desservi par les américains. Ceux-ci s’y opposent et finissent par avoir gain de cause, mais, pendant plus de quarante ans, cela restera une pomme de discorde entre la Grande-Bretagne et les états-Unis, et, en passant, une source de profit pour les colonies de l’amérique du nord britannique.

Le Bas-Canada et le nouveau-Brunswick sont les deux colonies les plus touchées par les changements résultant de la guerre. Leurs terres sont couvertes de forêts, surtout de pins blancs, de grands arbres bien droits, idéaux pour construire des pièces de mâture, et toutes deux ont de grands cours d’eau s’avançant profondément dans l’arrière-pays. La technologie du commerce du bois est simple : à l’aide de grandes haches, les bûcherons abattent les arbres avant de les « équarrir » en rectangles. Le bois carré qui en résulte est ensuite poussé dans les rivières toute proches, puis flotté sous forme de madriers ou de trains de bois jusqu’au port le plus proche, généralement saint-Jean ou Québec, chargés sur des navires de transport de bois – leur forme carrée facilite leur empilement et ils ne rouleront pas au cours des tempêtes sur l’atlantique, à destination de la Grande-Bretagne.

aux endroits où il n’y a pas de grandes rivières mais seulement des forêts, comme en nouvelle-écosse, ce secteur industriel dépérit. Une fois les forêts accessibles par mer abattues, le secteur disparaît.

Le commerce du bois attire des immigrants et modifie les schémas de colonisation. en 1800, Philemon Wright remonte la rivière des Outaouais à la tête d’un groupe de colons du Massachusetts ; en 1806, il lance des trains de bois au fil de la rivière jusqu’au saint-Laurent puis jusqu’à Québec.

Wright crée sa propre entreprise mais il arrive que les marchands de bois soient des employés de sociétés commerciales britanniques ; c’est le cas de William Price, qui arrive à Québec en 1809. sa compagnie, Price Brothers, 6 • les guerres pour la conquêTe de l’amérique (3) 121

règnera sur le commerce de bois et de bois d’œuvre dans la région de Québec pendant tout le dix-neuvième et une bonne partie du vingtième siècle.

Les quantités de bois exportées sont impressionnantes : neuf mille chargements au début des années 1800, vingt-sept mille en 1807 et quatre-vingt-dix mille en 1809. dans le Bas-Canada, l’agriculture et le bois remplacent la fourrure comme exportations principales de la colonie : si la fourrure continue d’assurer la fortune des commerçants de Montréal, seule un proportion restreinte et en déclin de la population de la province travaille dans ce secteur.

La prospérité attire les immigrants et stimule la création de familles : la population du nouveau-Brunswick passe de trente-cinq mille âmes environ en 1806 à soixante-quatorze mille en 1824. La croissance démographique dans le Bas-Canada est véritablement remarquable : de 165 000 personnes en 1790, la population passe à 300 000 en 1815 – c’est quatre fois plus qu’en 1760. au nouveau-Brunswick, les établissements s’étendent le long des rivières, tandis que, dans le Bas-Canada, la population progresse vers le nord et vers le sud, en s’éloignant du saint-Laurent vers les limites du Bouclier canadien et les appalaches. Le nombre d’anglophones grimpe lui aussi, jusqu’à 15 pour cent environ de la population de la province en 1815

grâce, entre autres, à l’immigration du vermont vers ce qui deviendra les Cantons de l’est, au sud et à l’est de Montréal. La population des villes du Bas-Canada augmente elle aussi, moins rapidement cependant que celle des campagnes.

LE HAUT-cAnADA

L’inauguration de l’assemblée législative du Haut-Canada survient à newark, qui deviendra niagara-on-the-Lake, en septembre 1792, en présence du nouveau lieutenant-gouverneur, le colonel John Graves simcoe. Ce dernier a commandé un régiment loyaliste pendant la révolution ; son expérience et celle de ses hommes l’ont rendu amèrement anti-américain ou, selon son point de vue, anti-révolutionnaire. il s’en remet à des vétérans loyalistes pour garnir sa minuscule administration et à des soldats britanniques pour construire l’infrastructure nécessaire à sa petite colonie, qui compte vingt mille âmes. trouvant que sa capitale, newark, est trop proche de la frontière américaine, simcoe la déménage de l’autre côté du lac Ontario, sur les rives d’un vaste havre entouré d’îles. il donne à ce lieu le nom d’York et trace des chemins, vers le nord en partant du lac Ontario (rue Yonge) et d’est en ouest (rue dundas), en leur donnant le nom de ministres britanniques. il baptise un autre établissement situé plus à l’ouest London, qui se trouve bien sûr sur la rivière thames, un cours 122

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d’eau boueux serpentant vers l’ouest jusqu’au lac sainte-Claire. (en fait, la capitale est déménagée à York en 1796 et c’est là que s’ouvre la première session de l’assemblée législative en 1797.)

simcoe fait arpenter les terres et établit des schémas de colonisation selon un modèle de fermes en damier le long des routes de concession, entrecoupés par les réserves du clergé imposées par la Loi sur le Canada. Le gouvernement britannique a octroyé de très vastes concessions à des officiers supérieurs loyalistes, qui servent certes à les distinguer des rangs inférieurs, mais cela ne donne pas les résultats escomptés. ne disposant pas du capital nécessaire pour défricher les terres pour en faire des exploitations agricoles productives, les concessionnaires les laissent telles quelles – une forêt privée attendant les efforts des voisins pour aménager les terres alentours. Les gentilshommes possédant les terres deviennent des spéculateurs, un frein au développement de la province. souvent, les dirigeants deviennent des charognards.

Les réformes de simcoe, en matière de transports, de défense, de communications régulières et de colonisation ordonnée, sont essentielles pour attirer une population et la garder. À ce point de vue, simcoe et ses politiques connaissent une réussite remarquable. La population du Haut-Canada explose : de vingt mille à l’arrivée de simcoe en 1792, elle grimpe à soixante-dix mille environ en 1806. Cette explosion démographique est en partie naturelle, mais la plus grande partie est attribuable à une immigration soutenue en provenance des états-Unis voisins. simcoe a rendu des terres disponibles à des conditions raisonnables. Ce sont de bonnes terres, accessibles par les cours d’eau et, de plus en plus, par les chemins, mais ceux qui viennent les occuper sont, fait incontournable, des américains.

simcoe entretenait l’espoir de pouvoir immuniser sa province, et l’amérique du nord britannique en général, contre la contagion du républicanisme et de la rébellion grâce à l’expérience amère de ses fondateurs.

il veut que soit portée « l’attention la plus stricte […] aux coutumes, façons d’agir et principes britanniques dans les questions les plus ordinaires comme dans les affaires les plus graves [et que soit inculquée] l’obtention de leur ascendance en bonne et due forme afin d’assimiler la colonie à la mère patrie15 ». Mais ce sont des considérations géographiques qui l’emportent comme ça a été le cas, dans un sens différent, pour les généraux britanniques dans la guerre de l’indépendance américaine. simcoe manque de temps et de ressources pour s’occuper des affaires courantes et, en ce qui a trait aux affaires graves, ce qui importe le plus est de placer la colonie sur de saines assises économiques pour finir par libérer les contribuables britanniques du fardeau de la loyauté nord-américaine.

 

6 • les guerres pour la conquêTe de l’amérique (3) 123

simcoe fait tout son possible mais cela ne suffira jamais. Pure coïncidence, à peu près au moment où il s’en va, des colons américains, peut-

être d’anciens loyalistes mais rien n’est moins sûr, commencent à affluer au Haut-Canada. ils reçoivent deux cents acres (quatre-vingts hectares) chacun, à condition d’occuper la terre et de l’améliorer, des conditions suffisamment attrayantes, d’autant plus que les terres fertiles du Haut-Canada se trouvent juste le long de la liaison terrestre la plus directe entre le nord de l’état de new York et le Michigan. Les successeurs de simcoe régneront sur une province qui compte, parmi ses atouts naturels, le fait d’être une reproduction des états au sud des Grands Lacs – semblable par le relief, le climat, la fertilité et, en fin de compte, par la société et l’économie.

semblable à tous les points de vue en réalité si ce n’est par la politique et, là encore, les choses sont-elles vraiment différentes ? il est vrai qu’il existe une tradition loyaliste et une exigence de loyauté de même qu’une crainte du républicanisme rampant des états-Unis. Pourtant, en 1812, un observateur fiable estime que la portion de la population formée par les « américains » arrivés plus tard représente pas moins de 60 pour cent du total16. Grâce à ses politiques rationnelles de colonisation, simcoe contribue à s’assurer que le Haut-Canada représente une destination concurrentielle pour les immigrants ; en cela comme de bien d’autres façons, il est le véritable fondateur de la province du Haut-Canada. Fait cocasse, il n’appréciera guère la façon dont elle se développera plus tard.

LE BAS-cAnADA

La création d’une assemblée législative dans le Bas-Canada est un risque calculé et ses défenseurs britanniques en conçoivent une certaine inquiétude. Le droit de vote est largement distribué – en réalité, certaines femmes peuvent voter aux premières élections dans le Bas-Canada avant que prévale le privilège masculin et que soient comblées toutes les failles des genres. Mais ce n’est pas tant la démocratie qui inquiète les Britanniques que la certitude d’une majorité politique francophone. Leurs appréhensions semblent se justifier quand, lors des premières élections en juin 1792, éclatent des troubles pour des raisons ethniques. On risque fort d’exagérer les différences ethniques, comme cela se fait à l’époque, à des fins essentiellement partisanes. au sein de la première assemblée législative du Bas-Canada, constituée de cinquante membres, seize sont des anglophones, bien que la minorité anglaise ne peut guère compter plus de dix mille personnes sur une population totale de 156 000 personnes17.

L’assemblée fait ce à quoi on pouvait s’attendre. elle élit un président issu de la majorité française et adopte une résolution à l’effet que ses débats 124

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et ses lois doivent être bilingues. elle adopte aussi les lois nécessaires sur le plan financier pour maintenir le gouvernement provincial à flot (1795) et met sur pied un système de tribunaux. Ça ne plait pas à tout le monde : sur un ton lugubre, un commerçant britannique écrit en 1792 qu’il craint que de nombreux membres canadiens soient « infestés par des détestables principes qui prévalent actuellement en France18 ». il a probablement tort sur ce point : bien qu’il n’existe pas de façon de mesurer avec précision l’attrait qu’exercent les idées révolutionnaires françaises au Bas-Canada, le public n’est guère sympathique envers la France ou la cause française dans la guerre qui vient tout juste d’éclater.

On observe beaucoup de suspicion, que la diplomatie française alimente. Le ministre français chargé des états-Unis appelle les Canadiens français à se soulever contre leurs oppresseurs britanniques et à se joindre à la cause de la liberté. On ignore précisément combien de Canadiens français entendent son appel. Pour ceux qui le font, surtout les membres du clergé et les seigneurs, c’est un rappel peu agréable du fait que la révolution française a renversé l’ordre, l’autorité, les privilèges et la religion catholique.

ils assurent le gouvernement de leur loyauté et jurent de protéger les ordres inférieurs, les « habitants », contre les pensées révolutionnaires. en novembre 1793, l’évêque de Québec avise les membres de son clergé que

« toute la fidélité et l’obéissance qu’ils devaient précédemment au roi de France, ils les doivent, depuis ces époques, à sa Majesté Britannique » et il réitère régulièrement ses exhortations au cours des années suivantes19.

L’élite tant francophone qu’anglophone du Bas-Canada est terrifiée. Les membres des ordres inférieurs – des « habitants » pour la plupart – manquent de déférence, allant même jusqu’à l’insubordination.

ils résistent à une tentative de dorchester de lever la milice du Bas-Canada.

Les « habitants » refusent de réparer les chemins. On signale, à plusieurs reprises, l’apparition du « bonnet phrygien ». L’hymne révolutionnaire français, La Marseillaise, s’immisce dans des oreilles terrorisées. Y a-t-il un vent de révolution dans l’air ? Les loyaux « habitants » catholiques vont-ils passer leurs prêtres par le fil de l’épée ou les envoyer en exil comme l’ont fait leurs cousins dans la vieille France ? Le clergé, les seigneurs et le gouvernement espèrent que non tout en ne pouvant en avoir la certitude.

en novembre 1793, l’assemblée législative suspend donc le droit d’ habeas corpus et maintient sa suspension. Le gouvernement peut désormais mettre les gens en prison sans procès et sans motif.

Les plus chanceux sont peut-être ceux qui sont incarcérés sans procès. La preuve en est faite lorsque survient une véritable conspiration révolutionnaire, la meilleure façon d’effrayer le gouvernement et tous ses loyaux sujets. Le cœur de la conspiration se trouve au vermont, où un groupe d’hommes politiques conspire avec les Français pour envahir le Canada 6 • les guerres pour la conquêTe de l’amérique (3) 125

et soulever les Canadiens français ; à cette fin, le gouvernement français fournit vingt mille fusils à pierre pour armer les « habitants ». On ne saura jamais ce que les « habitants » en auraient fait car ils sont interceptés dans la Manche par la Marine royale. Un des conspirateurs, david McLane, est condamné et pendu pour trahison à Québec en juillet 1797. On lui tranche ensuite la tête et on dépèce son corps. son juge est considéré comme le

« répresseur des émeutes et de la sédition dans le nouveau Monde20 ».

dominée à l’époque par les représentants seigneuriaux et ceux des riches marchands anglophones de Montréal, l’assemblée de Québec fait preuve d’une loyauté sans fin. en 1799, elle vote en faveur du versement de £20 000 au gouvernement britannique pour qu’il engage des poursuites contre la guerre. en 1798, la victoire de l’amiral nelson sur la flotte française au terme de la bataille du nil donne lieu à des réjouissances publiques et des messes de célébration. en 1805, après la mort de nelson à trafalgar, les commerçants de Montréal érigent une colonne à sa mémoire. À ce moment, la guerre a tourné en une lutte directe contre l’agression et la tyrannie française, car la révolution a laissé la place à une dictature, puis à l’empire de napoléon Bonaparte. Ce dernier se bat pour la domination du monde et les Britanniques lui résistent, souvent seuls.

dans l’histoire politique et culturelle canadienne, c’est davantage la phase antérieure, extrême ou jacobine de la révolution française que la période napoléonienne qui présente de l’intérêt. On finit par oublier le risque d’une révolution, l’idée que les habitants du Bas-Canada – et ceux des autres provinces d’ailleurs – ne sont guère attachés à la religion ou au pouvoir monarchique. L’important est qu’il n’y ait eu ni rébellion ni révolution. Comme le souligne l’évêque de Québec, il y a désormais une scission évidente entre le Canada français et son passé français. La conquête de 1760 a constitué une véritable bénédiction, sauvant le Québec des affres de la révolution et de l’athéisme. Le message est renforcé par des réfugiés catholiques et royalistes, dont cinquante prêtres, venus de la vieille France. très instruits et ardemment persuasifs, ils exercent une profonde influence sur la culture littéraire et religieuse du Canada français21. ils se font les messagers du fait que la vieille France a abandonné la véritable religion et que la conquête de 1760, loin d’avoir été un accident déplorable de l’histoire, a été le fruit de la providence22. Le protestantisme britannique est préférable à l’athéisme français et, heureusement, les « Canadiens »

jouissent de la liberté – britannique – de choix.

On met souvent en contraste la véritable liberté et l’enthousiasme révolutionnaire, ainsi que la tyrannie que la révolution entraîne dans son sillage. Pour ce genre d’argument, la France est un meilleur exemple que les états-Unis et les conspirations « jacobines » représentent une meilleure cible que les complots avec le gouvernement américain. Le problème des 126

UnE HIsTOIRE dU Canada

conspirations jacobines est qu’après 1797, il n’y en a plus, si ce n’est dans les esprits fiévreux des pouvoirs publics.

il y a cependant une vie politique active dans la province, bien évidemment centrée sur l’argent – comment en obtenir et le dépenser. Les commerçants montréalais sont en faveur d’un impôt foncier, tandis que, pour la majorité rurale, c’est tout sauf ça. Les conseils nommés diffèrent des assemblées élues et les anglophones des francophones. On assiste à l’apparition d’un parti local, à l’organisation assez sommaire, le Parti canadien qui, en 1810, se fondant sur les meilleurs principes britanniques, réclame un gouvernement responsable devant l’assemblée législative et sujet au consentement, et aux votes, de la majorité élue.

Cela entraîne un conflit entre le Parti canadien et le gouvernement et le gouverneur nommés à leur poste. À l’époque, le gouverneur est un général, sir James Craig, qui est en fonction de 1807 à 1811. Craig interprète librement la différence d’opinion comme un manque de loyauté, emprisonne le chef du Parti canadien et dissout l’assemblée, espérant ainsi obtenir de meilleurs résultats au terme de nouvelles élections. Ce n’est pas le cas et le tumulte qui s’ensuit amène Londres à remplacer Craig par un général moins belliqueux, sir George Prevost, antérieurement lieutenant-gouverneur de la nouvelle-écosse.

Prevost réussit là où Craig a échoué, politiquement parlant. C’est ce dont Londres avait besoin car les relations avec les états-Unis se détériorent et, en 1811, on s’attend à une guerre.

Une histoire du Canada
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